CHAPITRE VI

 

Le fluide parcourant son corps devenait même agréable, comme un engourdissement pernicieux, comme une drogue. Mox ressentait quelques picotements au sommet de son crâne, à l'endroit exact où l'appendice de la créature adhérait.

Il avait assez l'habitude de ces sensations pour ne pas deviner qu'un contact télépathique s'établissait. L'Extra-Terrestre lui parlait. Une « voix » interne s'enregistrait dans son cerveau, traduisait des mots, des phrases.

—      Je m'appelle Mlo ; je suis un Jerz. Et toi, qui es-tu ?

Jé braqua sa pensée. Il fit un effort et cette tension psychique se traduisit par un pli au front.

—      Mon nom est Jé Mox. Je viens de Ter-7.

La créature maintint son tutoiement :

—      Tu es un Terrien ?

         —      Oui, dit le commandant, surpris. Tu nous connais ?

—      Nous étudions votre civilisation. Nous savons que sans cesse vous étendez votre conquête dans l'Univers. Notre crainte s'est justifiée : vous avez abordé notre système planétaire et vous voulez le conquérir à son tour.

Mox ne voulait pas donner à Mlo une fausse impression des Terriens. Par exemple, il ne fallait pas que les Jerz s'imaginent qu'ils étaient persécutés, qu'ils seraient colonisés.

—      Ce n'est pas ça. Pas ça du tout. Des pionniers sont venus dans votre système solaire uniquement dans un but de recherches. Avant de coloniser une planète, nous prenons beaucoup de précautions. Nous déterminons si l'homme peut y vivre...

—      Vous pouvez vivre sur Molkar-I, trancha le Jerz, sans le besoin d'un scaphandre. C'est pourquoi nous pensions que vous débarqueriez ici un jour.

Jé ne savait comment faire pour se montrer persuasif. Il s'efforça néanmoins de convaincre l'Extra-Terrestre :

—      Nous ne sommes jamais restés sur un monde contre le gré de ses habitants. C'est notre principe. Des lois très strictes régissent notre conquête de l'Univers. Jamais nous n'employons la force. Aussi, si notre visite vous déplaît, nous pouvons partir. Encore faut-il que nous en ayons le moyen.

—      Justement, précisa Mlo. Notre Assemblée a jugé vos visées expansionnistes dangereuses. Nous ne pouvons absolument pas nous fier à vos paroles. Si nous vous laissions repartir, vous reviendriez encore en plus grand nombre.

Mox avait l'impression de se heurter à un mur, que tout ce qu'il pouvait raconter ne servait à rien. Il se découragea :

—      C'est bon. Qu'avez-vous fait de l'AM-I4 ?

—      Tu parles d'un de vos vaisseaux ?

—      Oui...

—      Les Droffs l'ont détruit. Malheureusement, son équipage n'a pas eu le temps de fuir.

—      Qui sont les Droffs ? Ces nuages rouges que nous avons aperçus ?

—      Oui, confirma Mlo. Nous les nourrissons. Nous les avons créés justement pour lutter contre vous, sachant qu'un jour ou l'autre vous viendriez. Notre programme est irréductible. Tous les Droffs ont reçu l'ordre de vous empêcher de repartir. Mais nous ne leur avons pas demandé de vous tuer. Au contraire, nous cherchons à vous épargner. L'étude de votre survie, dans notre système, comporte des phases extrêmement intéressantes.

         —      Vous nous traitez comme des cobayes, hein ? grommela Jé.

—      Si tu veux. Mais nous savons une chose : c'est qu'aucun d'entre vous ne rapportera ce qu'il y a de l'autre côté de la Barrière vivante.

—      La Barrière... Tu veux dire les Droffs ?

—      Oui, les Droffs. Ils digèrent n'importe quoi. Ils sont même doués d'intelligence. Créatures artificielles bourrées d'électrons, elles sont à notre service.

—      En somme, résuma Jé, vous avez peur de nous.

—      Exact. Rien ne nous fera changer d'avis. Nous n'avons pas de vaisseaux spatiaux pilotés mais nous avons envoyé aux quatre coins de l'espace des sondes inhabitées, automatiques. Elles ont ramené des tas d'informations. C'est vrai, nous n'avons pas résolu le problème de notre survie hors de notre atmosphère.

—      Et vos relais, installés sur les quatre mondes de votre système ?

—      Des relais automatiques. Ils servent à vous observer.

Mox imagina la cité souterraine des Jerz. Il évoqua des tas d'appareils braqués sur le cosmos, déchiffrant les énigmes du ciel, étudiant les civilisations de l'Univers. Il se savait épier, contrôlé à distance, où qu'il se trouve. Il n'aimait pas ça.

         Il le dit carrément à Mlo :

—      Vous trouvez donc intéressant de nous voir mourir à petit feu ? Vous êtes cyniques et cruels !

Le Jerz s'étonna. Pour lui, l'observation des Terriens ne comportait aucun sadisme. Cela entrait dans le cadre de tout un programme scientifique.

Il riposta :

—      Nous ne vous avons pas attirés sur Molkar. C'est vous qui êtes venus de votre propre initiative. De notre enquête extrêmement poussée, il ressort que vous possédez un caractère violent, fier et ambitieux.

—      En somme, résuma Jé, vous analysez nos défauts, pas nos qualités. Je suis ici parce que trois de nos astronefs avaient disparu.

—      Vous pouvez sans doute nous détruire, grâce à vos armes, remarqua Mlo. Et vous trouveriez logique que nous restions passifs. Or, en admettant même que vous détruisiez notre cité, la seule de Molkar, vous ne pourriez franchir la barrière des Droffs.

—      Nous sommes donc prisonniers à vie dans votre système solaire !

—      Oui. Notre sécurité exige que vous ne repartiez pas pour votre monde. Ainsi, vous ne pourrez pas lutter contre les Droffs.

Jé s'emporta. Il trouvait ridicule l'attitude des Jerz, mais il savait déjà qu'il ne les ferait pas changer d'avis.

         —      Pourquoi avoir ordonné aux Droffs de nous épargner?

—      Je vous l'ai dit, c'est une occasion unique pour nous d'étudier votre comportement face à une situation exceptionnelle. Nous voulons savoir jusqu'où ira la ressource de votre cerveau. Je doute, malgré votre intelligence, que vous découvriez une solution.

Les deux créatures, carrément dissemblables, échangèrent encore leurs impressions pendant quelques minutes. Puis trouvant que la conversation devenait stérile, sans intérêt, le Terrien décida de stopper le contact télépathique.

Il saisit l'appendice tactile apposé au sommet de son crâne et l'éloigna d'une poigne vigoureuse. Il tordit même le membre et eut l'impression que Mlo ressentait une certaine douleur. En tout cas le tentacule se rétracta rapidement et regagna sa poche protectrice.

Mox dégaina son polyray réglé sur l'indice « paralysant » et tira une giclée d'ondes sur le Jerz. Celui-ci s'immobilisa.

—      Bon ! dit-il, satisfait. Le voilà calmé pour une demi-heure. D'ici là il faudra trouver une solution.

Il sortit de la bulle, gagna la cabine de pilotage où il savait retrouver ses compagnons. Quand il pénétra dans la vaste pièce circulaire, il fut accueilli par un silence méprisant.

Il comprit que ses amis lui tenaient rigueur de son attitude. Aussi il s'empressa de briser la glace :

—      Hé ! Vous me recevez froidement alors que je viens d'apprendre des tas de choses intéressantes sur les Jerz !

Nadie se dérida la première. Elle sourit avec timidité :

—      Jé ! Tu aurais pu nous faire partager ta petite conversation. Tu sais bien que nous n'aimons pas quand tu fais bande à part !

Mox haussa les épaules. Il regarda tour à tour ses camarades avec insistance et ne lut que de la désapprobation dans leurs yeux. Il se justifia :

—      Le contact était télépathique. Comment diable aurais-je pu faire ?

—      Ça va ! grommela Gia, furibond. Dis plutôt ce que t'a raconté cette orange...

—      En gros, résuma le commandant, nous sommes cloués ici jusqu'à la fin de nos jours. Il ne faut pas attendre un changement d'attitude de la part des Jerz.

Roof croisa les bras sur sa poitrine :

—      Tu as fait remarquer à ce tas de viande que nous pourrions nous fâcher ?

—      Il s'en moque royalement. De toute façon, les Droffs nous coupent la route du retour. Et puis les Jerz nous considèrent comme des cobayes. Ils sont curieux de savoir comment nous allons en sortir.

Klas se planta devant Mox, les traits graves, tendus. Il voulait connaître la vérité, le fond de la pensée de Jé. Il insista :

—      Nos chances sont minces, hein ?

— Franchement minces, avoua le commandant très sérieusement. Si nous faisons les zigotos, les Droffs boufferont le COS-200 comme un leucocyte digère un microbe. Tout ce que tolèrent les Jerz, c'est qu'ils nous aident à survivre sur Molkar.

Gia frappa du poing sur une table. Le coup ébranla le silence.

—      On va pas rester là toute notre vie ! rouspéta-t-il. Nous franchirons la Barrière.

—      Et comment, malin ? riposta Jé. Paz bafouilla, décontenancé. Il n'avait aucune idée :

—      Bah ! On... on trouvera.

Klas fit allusion à son astronef, l'OZ-2I, et Mox raconta que les Jerz avaient « embrigadé » le vaisseau uniquement pour attirer le COS-200 sur Molkar-2, où un homme agonisait seul. Mais il n'était pas exclu que les Extra-Terrestres utilisent à nouveau l'engin si les nécessités l'exigeaient. Ils étaient passés maîtres dans l'art de domestiquer les ondes électromagnétiques.

Une question se posait maintenant, angoissante, impérative. Ce fut Nadie Gem qui l'aborda. Elle montra sur l'écran du circuit interne la bulle dans laquelle Mlo était immobilisé :

—      Est-ce que tu comptes le garder à bord, Jé ?

—      Non, décida Mox. Il ne nous servirait à rien. Je vais le déposer à proximité de la cheminée et il regagnera sa cité. Je crois que nous n'avons pas intérêt à nous montrer trop méchants avec les Jerz car ceux-ci possèdent des alliés terribles.

—      Les Droffs ? grimaça Gia.

—      Oui, les Droffs. Ce sont des sortes de robots extrêmement dociles, composés d'une énorme masse d'électrons. Mais ils ont une autre caractéristique : ils sont doués d'une certaine intelligence et obéissent à des instincts. Ils ont été construits pour nous empêcher de quitter le système solaire de Molkar.

Mox sortit de la cabine, grimpa en ascenseur jusqu'à la plate-forme d'éjection des bulles, et vérifia que les réflexes de Mlo étaient toujours paralysés.

Il s'installa aux commandes de l'engin, déclencha l'ouverture automatique de la porte, et s'éjecta dans le vide. La nuit noire l'environna rapidement.

Il se dirigea vers la cheminée. Quand il se posa à proximité, le transcepteur de la bulle grésilla intensément.

Gia l'appelait :

—      Jé ! Un nuage rouge est signalé, émergeant de la tubulure..., haleta-t-il.

Mox leva la tête vers le cylindre de métal planté dans la terre. Il ouvrit le cockpit, tendit l'oreille. Il perçut un long sifflement et il vit quelque chose de rougeâtre plafonnant au-dessus de lui.

Un moment, la terreur le figea. Il dégaina son polyray, l'indice thermique poussé au maximum. Mais il savait bien que son arme serait inutile si le Droff attaquait.

En réalité, le nuage prit de l'expansion. Concentré au moment de sortir de la cheminée, il reprenait son volume primitif, allongeant d'étranges pseudopodes dans toutes les directions. Fort heureusement, il eut l'air de ne pas remarquer la bulle posée sur le sol.

Il s'éloigna, disparut à plusieurs milliers de mètres de hauteur. Sans doute regagnait-il l'espace, là-bas, à la grande périphérie du système de Molkar, farouche gardien pétri d'une intelligence robotisée. Il n'avait fait qu'un séjour plus ou moins bref dans la cité des Jerz, ses maîtres.

Jé épongea son front. Décidément, il se faisait difficilement à l'idée que ces créatures électroniques étaient formidablement redoutables, prêtes à engloutir n'importe quoi. Déjà, elles avaient avalé l'AX-I8 et l'AM-I4. Elles digéreraient aussi bien le COS-200.

         Mox poussa Mlo hors de la bulle. Le Jerz roula mollement sur le sol et s'immobilisa contre une aspérité du terrain. Alors le Terrien repartit précipitamment vers son vaisseau.

Il donna l'ordre à Roof de décoller et ajouta :

—      Programme l'ordinateur pour un vol vers la périphérie du système.

Ten ouvrit des yeux immenses :

—      Tu veux aller vers la Barrière ?

—      Oui, confirma Jé.

—      Il y a les Droffs.

—      Justement. C'est pour les rencontrer.

Mox n'en dit pas davantage. Il se cantonna dans un mutisme rigoureux, volontaire. A bord du COS-200, une étrange peur régna. Personne n'aimait la proximité de la Barrière. En tout cas, il n'y avait pas une seule chance sur des millions pour que le vaisseau traverse sans histoire le domaine des nuages rouges.

Est-ce que Jé devenait fou et courait à sa perte ?

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Quand le COS-200 s'immobilisa dans l'espace, tous les visages se plissèrent. Des rides burinèrent les fronts. Une flamme de crainte, d'angoisse, illumina les regards. Bref, tout le monde aurait préféré rester sur Molkar-I.

         Tout le monde sauf Mox. Car celui-ci souriait énigmatiquement et prenait la chose du bon côté. Il était le seul à savoir pourquoi le vaisseau avait quitté Molkar-I pour les confins du système solaire.

La plaisanterie n'amusait pas particulièrement Gia. Ce dernier tint à mettre Jé devant ses responsabilités :

—      Ainsi, la destruction de l'AX-I8 et de l'AM-I4 ne te suffit pas. Tu oublies la mort de Will Tarky et de ses compagnons. Et celle de Ron Fallay, capitaine de l'AM-I4. Sans compter l'accident survenu à l'équipage de Klas.

Nadie et Ten approuvèrent Paz d'une vigoureuse affirmation de la tête. Puis Gia ajouta :

—      Sur Molkar-I, nous étions tranquilles, malgré la proximité des Jerz. Ici, nous venons nous foutre dans la gueule du loup.

Mox soupira profondément et dit avec sévérité :

—      Vous avez fini de gémir, oui ?

Klas prit le parti de l'équipage, conscient qu'il se rangeait du bon côté. Il se demandait bien ce que signifiait cette course dans l'espace, vers la Barrière vivante.

—      Ils ont raison.

Jé fusilla le pionnier du regard. Il savait que cet homme était pourtant pétri de courage. Alors il ne comprenait pas pourquoi il versait dans un certain pessimisme. Ou plutôt si, il comprenait Klas. Celui-ci n'était plus le même depuis qu'il avait dû abandonner son vaisseau. La fuite de ses compagnons l'avait ensuite traumatisé.

Mox posa une question qui engageait l'avenir :

—      Est-ce que vous voulez regagner Ter-7, oui ou non ?

Tous acquiescèrent. Gia remarqua :

—      Tu as un moyen ?

—      Je le cherche. La solution passe inévitablement par les Droffs. Je ne crois pas que les Jerz nous soient d'une grande utilité. Ils sont butés, obstinés. Nous ne les aurons pas aux sentiments.

—      Et vous croyez, ironisa Klas, que les Droffs se laisseront fléchir ?

Jé haussa les épaules. Il n'aimait pas quand quelqu'un contrecarrait ses projets et avait l'habitude de faire ce qu'il voulait. A bord, il était le commandant. Il prenait les initiatives.

Il objecta :

—      Ça vaut la peine d'essayer. Mais si vous avez d'autres solutions, j'attends vos réponses.

Nadie, Gia et Ten restèrent silencieux. Ils n'avaient pas d'idées. Seul John Klas émit une hypothèse :

—      Il faudrait convaincre les Jerz.

         —      Illusion ! riposta Mox avec assurance. D'après Mlo, la Grande Assemblée a décidé irrémédiablement que nous ne retournerions pas sur Ter-7. Elle ne reviendra pas sur cette décision pour la raison simple : c'est qu'elle ne peut pas.

—      Comment ça ? siffla le pionnier, stupéfait.

—      Oh ! avoua Jé, c'est évident. Les Jerz ont conçu les Droffs uniquement pour leur sécurité. Les nuages rouges possèdent maintenant dans leurs mémoires électroniques des instructions bien précises qu'il paraît impossible de modifier. Un Droff a mission de ne pas laisser échapper un Terrien.

Klas ne comprend toujours pas l'initiative de Mox :

—      Qu'espérez-vous donc de cette mission ?

—      Je veux faire plus ample connaissance avec les nuages rouges. Pour le moment, je ne les connais qu'au travers de Mlo.

Jé éclaira le panoramique. L'image renvoyée était classique. On distinguait des étoiles dans un ciel noir. Parfois, des points brillants défilaient, sillons de feu dans l'éther, et se perdaient dans les profondeurs de l'espace.

Il interrogea l'ordinateur :

—      Tu contactes une masse électronique ?

 

—      Oui, confirma le robot de sa voix neutre. Un nuage rouge se dirige vers nous à grande vitesse. Il nous barre la route. Dans deux minutes, il sera visible sur l'écran.

Les secondes passèrent avec anxiété. Bientôt, effectivement, une masse rougeâtre apparut sur le panoramique, s'amplifia, étira d'affreux pseudopodes, comme des griffes.

Gia épongea la sueur qui coulait de son front :

—      Le COS-200 attire ces saloperies comme un aimant ! Tu vas nous faire dévorer, Jé !

—      Non, rassura Mox. Nous n'avons pas atteint la zone extra-périphérique et nous n'échappons pas à l'attraction du soleil de Molkar. Notre intention, d'ailleurs, n'est pas de forcer la Barrière.

Nadie était tremblante. La vue de ce leucocyte géant s'agitant sur l'écran lui donnait des frissons. Même à l'intérieur du vaisseau, elle se sentait en insécurité.

—      Jé ! implora-t-elle. Ne joue pas avec le feu. Tu vois bien que le Droff vient vers nous, qu'il nous attrapera quand il voudra.

Têtu, le commandant regardait fixement le panoramique sur lequel le nuage grossissait sans cesse. Il gardait un extraordinaire sang-froid.

—      Justement, il ne voudra pas. Parce que nous n'avons pas l'intention de fuir. C'est visible, non ? Le COS-200 est immobile dans l'espace. Or, les Droffs n'attaqueraient que si nous accélérions.

Il s'avança vers une armoire, l'ouvrit, et tira un vidoscaphe. Il commença à se vêtir et quand il eut enfilé la combinaison étanche, il accrocha un polyray à sa ceinture.

Ses amis l'observaient avec des yeux effarés. Nadie se précipita vers lui, se blottit dans ses bras, et gémit :

—      Ne fais pas ça, Jé ! Le Droff te tuera. Je vois bien que tu veux sortir !

—      Evidemment ! confia Mox avec un sourire. Je vais sortir. Je tiens à voir de près cette créature. Elle est dans son élément, donc en possession de tous ses moyens.

La navigatrice s'agrippa au commandant :

—      Que diable t'a donc raconté Mlo sur les Droffs ?

—      Oh ! des tas de choses. Je les connais déjà un peu. Ils sont intelligents et il est toujours possible de converser avec des créatures intelligentes.

Gia prit un second équipement étanche dans l'armoire. Mais avant même de le revêtir, Jé l'en empêcha :

—      Laisse ça tranquille, veux-tu ?

Paz protesta :

—      Mais enfin, tu ne vas pas y aller tout seul !

         —      Si ! J'irai tout seul. Vous m'attendrez sagement ici.

Mox repoussa fermement la jeune fille. Il lui dit d'un ton rassurant :

—      Ne t'affole donc pas. Je reviendrai. Nadie hocha la tête et renifla :

—      Te rends-tu compte des dangers ?

Jé ne répondit pas. Il rabaissa son casque, le vissa, vérifia que le système d'oxygénation fonctionnait normalement. Il parla par le truchement de sa radio individuelle. Sa voix grésilla dans un haut-parleur :

—      O.K. C'est paré. Et surtout, ne faites pas ces gueules d'enterrement !

Il quitta la cabine axiale, peu gêné par sa combinaison extralégère. Il gagna le sas, assura lui-même la décompression puis l'ouverture.

A l'aide de son moteur-fusée, il s'élança dans le vide. Sur l'écran, ses amis le virent qui se dirigeait vers le nuage rouge.

Il devint un point imperceptible. Nadie dut avoir recours au grossissement pour obtenir une image nette.

Klas se rongeait les ongles, appuyé contre un pilier :

—      Il est fou ! grommela-t-il. Il court au suicide. Qu'est-ce que ça lui rapportera ?

Gia rangea son vidoscaphe inutile. Il grimaça :

         —      Quand Mox a une idée dans la tête, rien ne peut le décourager.

Le capitaine haussa les épaules :

—      Est-ce du courage, de la témérité, ou de l'inconscience ? Moi je crois que c'est de l'inconscience.

Nadie crispa les poings. Son cœur bondissait dans sa poitrine. Elle haletait, rivée devant l'écran. Elle vit Jé qui s'éloignait de plus en plus du COS-200.

—      Il est à plusieurs centaines de mètres, Nota-t-elle, angoissée. Et le Droff s'avance toujours vers lui.

Bientôt, les deux créatures en suspension dans l'espace se rencontrèrent fatalement. L'homme fut comme absorbé par le nuage rouge.

 

CHAPITRE VII

 

Derrière le hublot de son casque, Mox vit arriver sur lui le nuage rouge. Il ne fit rien pour l'éviter. D'ailleurs, l'aurait-il voulu qu'il n'aurait pu empêcher cette rencontre. Devant le Droff, il était désarmé, impuissant. Son polyray semblait dérisoire contre la formidable masse électronique.

Il ne perdit pas son sang-froid. Il ne provoqua pas l'étrange créature fluidique et laissa son pistolet dans son étui. Très rapidement, il eut vraiment l'impression de pénétrer dans un nuage.

Il ne distingua plus que des petits flocons rougeâtres mêlés à une sorte de brouillard. En même temps, il ressentit un picotement sur tout le corps comme s'il se trouvait soudain en contact avec un élément électrique. En fait, il ne fut pas électrocuté.

Mais les secondes lui paraissaient des siècles. Il ignorait véritablement les intentions du Droff. Celui-ci avait convergé vers lui comme attiré par une proie. En conséquence, tout était possible.

Jé se posait des tas de questions. Il repensait à l'avertissement de Nadie, juste avant son départ du COS-200. Peut-être aurait-il dû écouter les conseils de prudence dictés par ses compagnons ? S'il se jetait bêtement dans la gueule du loup ? S'il était digéré ?

Il bravait un danger terrible. Mais il était décidé. Il n'était pas venu dans la zone extra-périphérique uniquement pour observer un Droff de loin. Il lui fallait confirmation des assurances fournies par Mlo. Car le Jerz, certainement, ne mentait pas.

Puisque les créatures fluidiques possédaient une intelligence, elles devaient forcément aussi avoir un cerveau, artificiel ou pas, peu importait. Qui disait cerveau disait aussi esprit. Or, tout esprit pouvait communiquer avec un autre, selon des moyens divers.

C'était sur de telles conclusions que raisonnait Jé. Pas une seule fois il ne se décourageait. Il semblait à peu près certain d'atteindre son but. Restait à savoir ce qui découlerait de son initiative. Cela était imprévisible.

Pour le moment, le picotement sur tout son corps s'accentuait et devenait gênant. Il n'était pas franchement douloureux, mais s'il s'accusait encore, il prendrait les proportions d'une névralgie véritable.

         Mox stoppa son moteur-fusée. A la lecture de son biotest, fixé à son poignet, il comprit qu'il était entouré d'électrons purs. Cela ne signifiait pas qu'il soit obligatoirement digéré, mais les risques existaient sérieusement.

Un instant, il songea à sortir du nuage rougeâtre à l'aide d'une bonne giclée de son réacteur dorsal. Si la manœuvre réussissait, il pourrait peut-être regagner le COS-200.

Puis il abandonna cette idée. L'hypothèse de la fuite ne l'effleura même pas. Elle ne pouvait être que très mauvaise et il ne voulait pas attirer le Droff sur le vaisseau.

Aussi il utilisa une autre tactique, une tactique qu'il connaissait à fond et qui avait fait ses preuves. Il banda sa pensée, raidit sa volonté, et projeta une onde télépathique.

Il ne savait pas encore si cela donnerait quelque chose. Mais il fallait bien qu'il essaie.

Sa pensée se traduisit par des mots, par une phrase. L'effort mental qu'il s'imposait durcissait ses traits, malgré son habitude. C'était un exercice toujours psychiquement épuisant et qui le laissait vidé !

—      Je m'appelle Jé Mox. Je suis un Terrien.

Il attendit anxieusement la réponse. Il ignora par quel procédé elle vint mais il ressentit un impact dans ses neurones. Avec subtilité, une autre pensée que la sienne s'insinua dans son subconscient et avait l'avantage de ne nécessiter aucune traduction :

—      Nous luttons contre vous. Notre mission est de vous empêcher de franchir les limites de notre système solaire.

—      Vous savez pourquoi ?

—      Non. Cela n'a aucune importance. Nous ne posons jamais de questions aux Jerz, nos maîtres.

Mox conclut que le Droff semblait dans de bonnes dispositions. Il en profita, alléché par ce début de conversation en somme nullement agressive. Il tabla sur sa chance.

—      Vous n'attaquez pas notre vaisseau ?

—      Nous l'attaquerons s'il dépasse les limites permises.

Jé se fit une opinion. Il désira une confirmation :

—      Vous voulez dire si nous cherchions à échapper à l'attraction solaire ?

—      Oui.

—      Vous avez un nom ?

—      Je suis un Droff.

—      Je sais. Mais encore ?

—      Je m'appelle Vlanda.

—      Vous êtes nombreux ?

Vlanda resta muet à cette question, preuve qu'il ne voulait pas fournir certains renseignements. C'était déjà beau qu'il consentît à parler !

         Jé trouvait cette conversation fantastique car elle avait pour cadre l'espace, le vide absolu, un état complet d'apesanteur, et elle s'échangeait entre deux créatures totalement différentes. L'une était de chair, l'autre était électronique. Comment diable les Jerz s'y prenaient-ils pour fabriquer de tels robots ? Il fallait croire que dans certains domaines, ils étaient nettement plus avancés que les Terriens.

Les Droffs n'avaient même rien de comparable avec les cerveaux électroniques mis au point par les hommes. Les ordinateurs étaient fabriqués avec de la matière tandis que les Droffs étaient électrons à l'état pur. Seul leur amalgame leur donnait cette teinte rougeâtre qui permettait de les déceler à l’œil.

Mox hésita à tutoyer Vlanda et pourtant il avait tutoyé Mlo. La situation semblait assez comique mais il s'agissait en fait de principes ridicules, d'un usage de langage qui ne signifiait rien et n'était valable qu'entre gens de même société.

Le commandant avait encore beaucoup de questions à poser au nuage rouge. Il fit un tri rapide dans sa tête.

Il tutoya finalement le Droff :

—      Tu vas me digérer, Vlanda ?

—      Non. Je n'en ai pas reçu l'ordre.

         —      Et qui te donne les ordres ? Les Jerz ?

—      Oui, les Jerz.

—      Tu as besoin d'eux ?

—      Ils m'ont doté d'un cerveau intelligent, d'une mémoire. Et puis je suis obligé de me faire périodiquement « recharger ».

Cette nécessité évoqua chez Mox les souvenirs récents d'une aventure. Au fond, les robots, de quelle nature qu'ils soient, seront toujours tributaires de leurs constructeurs ! C'était une loi à laquelle la machine la plus perfectionnée n'échappait pas.

Il feignit l'étonnement mais cela l'arrangeait. Sans les Jerz, les Droffs n'existeraient pas.

—      Je comprends. Tu es obligé d'aller sur Molkar-I, dans la cité souterraine.

—      Oui. Mes maîtres me nourrissent d'énergie. Je suis incapable de recharger moi-même mes propres électrons.

C'était un handicap que les Terriens pouvaient utiliser. Mais Mox ne voyait pas encore comment. Il chercha d'autres détails. L'effort mental qu'il s'imposait l'épuisait. Il sentait que son cerveau se vidait.

Il se demandait aussi comment Vlanda pouvait communiquer avec lui sans l'apposition d'un organe quelconque, comme le faisait les Jerz par exemple. Il fallait croire que les Droffs étaient doués pour la télépathie. Dans certains cas, la transmission de pensée s'opérait même à des distances considérables.

Jé voulait savoir pourquoi les vaisseaux étaient « digérés » comme de vulgaires microbes. Il se souvenait de la désintégration du satellite artificiel envoyé comme échantillon. L'engin avait été littéralement disséqué.

—      Vous agissez sur les molécules. Par quel procédé ?

Vlanda hésita longuement :

—      Je ne sais pas si je dois répondre.

—      Bah ! Est-ce que les Jerz vous en empêcheraient ? De toute manière, ça m'étonnerait que vous me donniez une recette.

—      Exact, reconnut le Droff. Il n'existe pas de parade. Du moins n'êtes-vous pas assez avancés, scientifiquement, pour en trouver une. Nous émettons des particules d'antimatière qui annihilent les molécules que nous voulons détruire. Nous circonscrivons avec minutie l'opération. C'est-à-dire qu'il n'y a pas de réaction en chaîne.

Mox soupira, soulagé :

—      Heureusement ! Sans ça vous pourriez détruire tout le cosmos !

—      Les Jerz n'ont pas construit des machines infernales, incontrôlables, observa Vlanda. Ils n'ont pas d'intérêt à détruire l'Univers. D'ailleurs, nous ne nous attaquons qu'à un certain type de matière.

—      N'empêche ! remarqua Jé en grimaçant. Vous avez annihilé complètement l'équipage de l'AM-I4, donc de la matière vivante.

—      Ce n'est pas tout à fait vrai, rectifia le Droff. Les Terriens de l'AM-I4 ont utilisé leurs armes. Vos désintégrateurs sont inefficaces mais nous en avons conclu que vous nous attaquiez. Nous nous sommes défendus. Nous ne pouvons pas détruire la matière vivante. Nous avons seulement dématérialisé les scaphandres des hommes. Ceux-ci sont morts dans l'espace par asphyxie. D'ailleurs, leurs cadavres orbitent quelque part autour du soleil.

Jé avala sa salive. Il comprenait que le COS-200, malgré son redoutable armement, ne pourrait jamais franchir la Barrière car il lui serait impossible de se débarrasser des Droffs collés à lui comme des sangsues.

Il posa une question apparemment saugrenue :

—      Vlanda... Tu aimes tes maîtres ?

Décontenancé, la créature électronique ne relâcha pourtant pas son flux télépathique. Mais elle se demandait où voulait en venir le Terrien. En tout cas, elle ne comprenait pas la signification de la phrase.

—      Aimer ? Qu'est-ce que ça veut dire ?

—      Avoir de l'affection pour quelqu'un. Tu as de l'affection pour les Jerz ?

—      Nous ne possédons pas de sentiments, avoua Vlanda.

—      Voilà ! Alors vous vous foutez de vos maîtres comme de vos premières culottes !

—      Erreur. Nous les respectons et nous leur obéissons aveuglément.

Jé soupira. Il essayait de sonder le tréfonds de la pensée du Droff. Cela était difficile. Il tenta le maximum :

—      Tu es intelligent, Vlanda, puisque tu possèdes un cerveau.

—      Sans doute.

—      Tu ne t'es donc jamais posé de questions ?

—      Non.

—      Tu as tort. Il y a des tas de choses à connaître. Par exemple, t'es-tu demandé une fois ce qui existe au-delà du système solaire de Molkar ?

—      D'autres étoiles, d'autres planètes, répondit le Droff, prouvant que sa mémoire était douée de certaines connaissances.

—      Oui. Mais des étoiles et des mondes différents de ceux de Molkar. C'est l'intérêt de l'Univers. Pas un endroit ne ressemble à un autre. Tu ne voudrais pas voir autre chose que les Jerz ?

Vlanda se piqua au jeu. Cela ne signifiait pas qu'il renonçait à sa fonction essentielle, c'est-à-dire celle d'empêcher le départ des hommes pour Ter-7.

—      Quoi, par exemple ?

—      D'autres civilisations que celle de tes maîtres.

—      Que faudrait-il pour cela ?

—      Oh ! Il s'agirait que tu franchisses la zone extra-périphérique. Tu pénétrerais alors dans le vide interstellaire. Le pourrais-tu ?

—      Je ne sais pas. Aucun Droff n'a essayé d'échapper à l'attraction de Molkar. D'ailleurs, cette idée ne nous est jamais venue.

—      Eh bien ! penses-y dorénavant ! Prends conscience de tes possibilités. Actuellement, tu es une sorte d'esclave au service de tes maîtres. Il est temps qu'un mouvement d'indépendance te libère.

Le Droff resta insensible à ce discret appel à la révolte. Du reste, il mit rapidement les choses au point :

—      Je suis heureux d'avoir parlé avec toi. Nos maîtres nous tiennent en général beaucoup moins de discours. Mais ne compte pas que nous trahirons les Jerz. Car c'est cela que tu souhaites.

La déception ombra le visage de Jé. Une grimace tordit sa bouche :

—      Comme tu voudras, Vlanda. Je ne te force pas. Je t'ai mis seulement en face de tes possibilités. Elles sont immenses. Réfléchis-y. Maintenant, tu vas me laisser regagner mon vaisseau.

Le nuage rouge menaça :

—      Si ton astronef tente de franchir la zone, je le détruirai.

—      Je sais. Aussi je ne commettrai pas cette folie.

Avant d'actionner son moteur-fusée, Mox tira une petite ampoule de sa poche. A l'aide de ses gants, il en cassa chaque extrémité et très discrètement, il répandit autour de lui une légère quantité de substance radioactive. Son biotest crépita à son poignet, prouvant l'efficacité de la substance.

Vlanda n'avait probablement pas remarqué cette manœuvre car il commença une prudente retraite. Il rétracta certains de ses pseudopodes et utilisa les champs de force magnétique pour se retirer.

Lentement, Jé émergea du nuage rougeâtre. Il aperçut le Droff glissant silencieusement dans l'espace. Puis il actionna le moteur de son scaphandre.

Il fit demi-tour. Devant lui, il distinguait maintenant la masse elliptique du COS-200, toujours rigoureusement immobile. Il s'en rapprocha à vive allure. Ses compagnons devaient l'observer sur le panoramique.

Quand il parvint à quelques mètres du vaisseau, le sas s'ouvrit automatiquement. Jé pénétra dans la chambre de translation, attendit que l'oxygène y pénètre et quitta enfin sa combinaison étanche.

Gia vint à sa rencontre, intrigué :

—      Ça s'est bien passé ?

— Parfaitement, acquiesça Mox. Les Droffs sont aussi intraitables que les Jerz. Nous ne les aurons ni au bluff, ni aux sentiments. Je crois que nous ne sommes pas prêts de revoir Ter-7. Je me demande même si nous ne resterons pas à jamais prisonniers de Molkar.

Paz ouvrit des yeux effarés et versa dans le pessimisme. Pourtant, il ne voulait pas encore désespérer :

—      Le colonel Zolos ne nous laissera pas tomber. Il enverra du secours.

—      Il vaudrait mieux pas. Sinon le système de Molkar deviendra un véritable cimetière pour les vaisseaux terrestres.

Jé rejoignit la cabine de pilotage, rassura Nadie très angoissée, et vérifia un écran de contrôle. Des points lumineux crépitaient sur le scope et Mox dit, la main tendue :

—      Vous voyez, c'est Vlanda. Ses électrons se sont imprégnés de substance radioactive. Ainsi, partout où il ira, nous pourrons le suivre.

Klas haussa les épaules, ironique :

—      A quoi ça vous servira ?

—      Maintenant, à rien, répondit sèchement Jé. Mais à long terme, on ne sait jamais. En tout cas les Droffs sont des robots intelligents.

Il ordonna à Roof attentif :

—      Retour sur Molkar-I, Ten. Nous n'avons pas le choix.

Les Terriens observèrent le nuage rouge qui disparaissait dans le lointain. Leurs yeux plongèrent avec nostalgie au-delà de la zone périphérique, vers le grand vide interstellaire. Etait-il possible que jamais ils ne puissent franchir la Barrière ?

Dans la bulle d'observation, Nadie et Gia regardaient la vaste mer fermée qui occupait cette partie de Molkar-I.

Ce n'était pas un lac mais bien une mer, avec de l'eau salée. Elle était protégée des vents du nord grâce à une barrière montagneuse dont les pentes venaient mourir sur les rives. Au sud, une forêt aux essences qui se rapprochaient de celles de Ter-7 s'étirait en une longue bande verdâtre.

Au-delà des arbres s'étendait une immense plage de sable fin, à la corolle nacrée. Les vagues léchaient mollement la côte et vu d'une certaine altitude, le paysage était magnifique. On aurait dit un gigantesque collier de diamants dans un écrin bleuté.

Nadie appréciait ce petit voyage qui lui dégourdissait un peu l'esprit. Elle avait insisté pour accompagner Gia et, finalement, Jé avait cédé.

—      Notre mission, rappela Paz, consiste à savoir s'il n'existe pas d'autres « cheminées » faisant communiquer la cité souterraine avec la surface. Jusqu'à présent, nous n'avons rien remarqué.

La navigatrice hocha sa tête aux longs cheveux. Ses beaux yeux se plissèrent.

—      J'en avais marre de rester enfermée à bord du COS-200. J'ignore ce que Jé attend.

—      Oui, qu'est-ce qu'il peut mijoter après son contact avec Vlanda ? grimaça Gia. Il n'est guère bavard.

Il s'étira avec un soupir, ferma les paupières et évoqua de lointains souvenirs. Une bouffée de nostalgie le frappa :

—      Je regrette ma pépée de Ter-7. Elle doit se ronger les sangs. Ici, je ne risque pas de la tromper avec une de ces oranges à tentacules, même si c'est une femelle !

Nadie sourit :

—      Je sais, Gia, que tu es un tantinet Don Juan, malgré ton gros ventre...

—      Hé ! Quoi ? riposta Paz. Certaines femmes aiment les gros hommes comme certains hommes préfèrent les femmes rondelettes !

Il décida, passant à autre chose :

         —      On se pose cinq minutes pour se dégourdir les jambes?

La jeune fille acquiesça. La bulle perdit rapidement de l'altitude et atterrit sur l'immense plage sableuse. Il y avait la place pour loger des milliers de bulles, tant l'étendue de sable était grande.

Ils quittèrent le cockpit. Nadie vérifia un compteur :

—      Nous sommes à plus de mille kilomètres du COS-200, au nord.

—      Alors, c'est idiot de chercher des cheminées ! observa Gia. La cité des Jerz ne s'étend sûrement pas jusque-là.

—      Peut-être. Mais il peut y avoir d'autres cités, ou d'autres sorties plus lointaines. Les Jerz vivent comme des taupes.

Paz courut vers la mer. Celle-ci était tellement peu agitée que les vagues mordaient à peine le sable. L'air était quand même moins oxygéné que sur Ter-7 et Gia dut reprendre haleine.

Quand Nadie le rejoignit au bord de l'eau, il se passa un événement. Ils perçurent un long sifflement dans le ciel, levèrent la tête, et remarquèrent un astronef qui descendait à la verticale, perdant avec régularité de l'altitude.

Leur étonnement grandit en constatant qu'il s'agissait d'un vaisseau terrestre. Puis bien vite, ils comprirent que c'était l'OZ-2I. D'ailleurs, ils lurent le numéro sur la coque.

L'engin de l'Exploration Spatiale atterrit à proximité de la bulle et les deux Terriens se demandaient anxieusement ce que les Jerz manigançaient.

Là-bas, le sas s'ouvrit. L'ascenseur tubulaire émergea de dessous l'alvéole réservé à cet effet et atteignit le sol.

Nadie allait se précipiter lorsque Paz la retint par le bras :

—      N'y va pas ! souffla-t-il. Tu vois bien que c'est un piège. Nous ne serons pas plutôt à bord que le sas se refermera comme une prison. L'OZ-2I est maintenant téléguidé électromagnétiquement par les Jerz.

—      Qu'est-ce qu'ils veulent ?

—      Je n'en sais rien. En tout cas, c'est une invitation pour monter. Ce que nous devons éviter. Ils ne pourront quand même pas nous forcer.

Ils attendaient, figés au bord de l'eau, lorsque la situation se modifia. Deux créatures apparurent par l'ascenseur. Elles étaient sphériques, légèrement orangées, et agitaient quatre tentacules.

—      Les Jerz ! devina Gia, les dents soudées.

Il n'avait encore jamais vu les habitants de Molkar-I mais d'après la description que lui en avait faite Mox, il les reconnaissait parfaitement.

—      Les « oranges » ! hurla-t-il, dégainant son polyray. Je te jure que je vais les calciner !

Nadie modéra la fureur de son compagnon. Elle ne voulait pas brusquer les choses car Jé lui avait surtout recommandé d'épargner les Jerz. La guerre ne devait absolument pas débuter entre les deux races, sinon les Terriens étaient perdants !

—      Du calme, Gia ! Abattre ces deux créatures ne servirait à rien...

Ils perçurent un autre genre de sifflement et, levant la tête, ils poussèrent un hurlement de frayeur. Un nuage rouge plongeait vers eux à toute vitesse !

—      Après les Jerz, les Droffs ! cria Paz, visant la créature électronique.

Celle-ci piquait droit sur nos deux amis. Elle allongeait de terrifiants pseudopodes et sa masse se hérissait d'impressionnants bourrelets. Des contours assez vagues se dessinaient dans la lumière du jour, se formaient et se déformaient.

Il y avait une menace suspendue au-dessus des deux Terriens. Gia comprit le danger. Il tira mais il eut l'impression que sa décharge atomique était sans effet. De l'antimatière avait dû dématérialiser les molécules radioactives !

         Alors, dans quelques secondes, Paz et Nadie Gem seraient désintégrés à leur tour...

Gia tira deux autres fois, sans plus de succès. Il savait son arme inutile contre les Droffs et de rage il la rengaina.

—      Saloperie ! jura-t-il, tourné vers le nuage.

Il fut bientôt enveloppé dans une sorte de brouillard rougeâtre. Il ne distinguait pas à dix mètres devant lui. Il tendit la main, tâtonna, trouva le bras de la navigatrice.

—      Nadie ! balbutia-t-il. Nous sommes perdus !

Un sifflement aigu lui vrillait maintenant les oreilles ! Il lui semblait qu'une bête grattait son tympan. Il se boucha le conduit auditif avec ses mains à plat mais l'effet fut négatif.

Le sifflement s'accrut, martela bientôt son crâne au point de devenir insupportable. Gia crut qu'il devenait fou !

Bien sûr, il pensa bien courir jusqu'à la bulle pour prévenir Jé. Mais quand il voulut mettre un pied devant l'autre, il trébucha sur un obstacle invisible. Il comprit qu'un vertige le saisissait, qu'il n'était plus capable de se diriger.

Il s'affala sur le sol, les oreilles bourdonnantes, aveuglé par le brouillard rouge émis par le Droff. Ses ongles griffèrent sauvagement le sable. Puis il perdit connaissance. Son corps s'immobilisa.

Nadie subit rapidement le même sort. Puis le Droff repartit bientôt pour l'espace. Il s'éleva, plana un moment au-dessus de la plage, et se dirigea avec rapidité vers le sud, vers la cité des Jerz.

Les deux êtres sphériques sortis de l'OZ-2I s'approchèrent alors en roulant des Terriens étendus sur le sable. Ils se penchèrent sur eux et les palpèrent.

 

CHAPITRE VIII

 

Jé et Klas repérèrent très rapidement la bulle posée sur l'immense plage. Elle dessinait une petite sphère transparente sur le sable et elle paraissait abandonnée. En vain cherchait-on Nadie ou Gia aux alentours.

Mox pilota sa propre bulle et la fit atterrir à côté de l'autre engin. Il sortit le premier du cockpit, suivi par le capitaine.

Les deux hommes examinèrent longuement le véhicule utilisé par Paz et la jeune fille. Ils ne découvrirent aucun indice à l'intérieur. Par contre ils trouvèrent des traces de pieds sur le sol.

Les empreintes les conduisirent jusqu'au bord de l'eau. Jé se pencha, observa plus longuement, et hocha la tête :

—      Regardez. Ils sont venus jusque-là. Il y a un pied de femme, bien moulé. Aucun doute, donc.

Il se mordit rageusement la lèvre et ajouta :

         —      Je leur avais recommandé de ne pas s'éloigner de leur bulle. Gia a voulu probablement tâter l'eau.

Klas jetait un coup d'œil autour de lui. Il aperçut l'immense plage déserte et haussa les épaules :

—      Ça n'explique pas pourquoi ils ont disparu.

Jé était ennuyé. Il avait longuement attendu le retour de Nadie et de Gia. Il avait lancé des appels. En vain. Personne ne répondait. Le dernier message en date provenait de mille kilomètres plus au nord, en bordure d'une mer intérieure.

Aussi Mox n'avait pas hésité. Il avait confié le COS-200 à Roof et il avait décidé de passer aux recherches. Klas avait proposé de l'accompagner et il avait accepté.

Maintenant, les deux hommes se trouvaient à pied d'œuvre. Ils avaient rapidement localisé l'endroit où Paz avait envoyé son dernier message. A ce moment, tout allait encore bien.

Que trouvaient-ils ? Une bulle abandonnée et des empreintes de pas dans le sable.

Jé s'arrêta devant des traces plus significatives. On dirait que deux corps avaient chuté et avaient laissé leurs moulages.

Le commandant se caressa le menton et se posa des tas de questions. Il se demanda ce qui avait bien pu arriver à ses amis. Or, à bord du COS-200, il avait décelé la présence d'un nuage rouge qui se dirigeait précisément vers cette mer intérieure. Il en avait aussitôt informé Gia mais, déjà, le contact avec la bulle était interrompu.

En conséquence, plusieurs hypothèses s'ouvraient. Le Droff avait pu fondre sur les deux Terriens, cherchant à les attaquer. Qui sait s'il ne les avait pas désintégrés ?

Klas réfutait cette idée :

—      Vlanda ne vous a-t-il pas confirmé que les Droffs étaient sans effet sur la matière vivante ?

—      Si. Il a cité l'exemple de Ron Fallay et de son équipage. L'antimatière n'avait eu d'action que sur les scaphandres, pas sur les hommes. Fallay est mort, asphyxié.

—      A propos de Fallay... Vous rechercherez son corps ?

—      C'est chercher une aiguille dans une botte de foin. Les cadavres ont dû déjà dériver. Et puis est-ce utile ? De toute manière, nous ne pourrions pas les ramener sur Ter-7. Ils ont une sépulture éternelle dans l'espace. Les marins, jadis, jetaient leurs morts dans la mer. Nous, cosmonautes...

—      Taisez-vous ! coupa Klas avec une grimace. Bien que je trouve cette pratique dégoûtante, elle existe. Certains pionniers confient leurs morts à l'espace. C'est grandiose mais inhumain...

         Mox revint rapidement au problème qui le préoccupait. Il ne pouvait plus rien pour l'équipage de l'AM-I4.

—      Si le Droff n'a pas pu dématérialiser Nadie et Gia, qu'est-ce qui a bien pu se passer ?

Le capitaine s'éloigna, examinant le sable avec soin. Jé resta pensif et il en était là de ses réflexions quand John cria :

—      Hé ! Hé!

Il se trouvait à une cinquantaine de mètres, peut-être à soixante. Il agitait les bras en tous sens et semblait très excité.

Mox le rejoignit en hâte, intrigué :

—      Alors ?

Klas montra d'étranges traînées sur le sol, comme de profondes griffures. D'autre part, sur une vaste surface, le sable était comme soufflé après le passage d'un vent violent.

Qu'est-ce que vous pensez de ça, commandant ?

—      On dirait qu'un lourd engin a atterri ici.

—      Vous avez la même opinion que moi. D'après la forme des empreintes, je suppose qu'il s'agit d'un vaisseau spatial terrestre.

Jé dressa la tête, fronça les sourcils :

—      L'OZ-2I, hein ?

—      Exact ! dit Klas. Je connais mon astronef comme ma poche et je sais quel genre de traces il laisse sur le sable. Seulement ses moteurs n'étaient pas en fonction. Il s'est posé comme ça, soutenu par ondes électromagnétiques.

—      Les Jerz ! évoqua Mox. Ce sont eux. Pourquoi diable en voulaient-ils à Gia et à Nadie ?

—      Oh ! dit le pionnier, parce que c'est le hasard. Cela aurait pu arriver à vous, à moi ou à Roof.

Les deux hommes revinrent vers leur bulle. Ils se retournèrent plusieurs fois derrière eux, comme s'ils se sentaient épiés. En fait, n'étaient-ils pas surveillés constamment par le relais automatique installé sur Molkar?

—      En somme, conclut Jé, il y a de fortes chances pour que Gia et Nadie soient vivants. Ils ont tout simplement été enlevés par l'OZ-2I. Ils sont donc actuellement prisonniers des Jerz. Pourquoi ?

Klas haussa les épaules :

—      Allez donc savoir ce que manigancent ces oranges à tentacules ! Je crois qu'elles désirent nous observer de plus près, voilà tout. Elles sont affreusement curieuses !

Mox restait quand même inquiet :

—      Nous avons noté que le Droff, détourné vers la mer intérieure, a ensuite reflué vers le sud pour pénétrer par une cheminée d'accès de la cité souterraine. Encore un, sans doute, qui allait se faire « recharger ». Pourtant, ce détour exprès pour Nadie et Gia signifie quelque chose. A-t-il aidé les Jerz pour la capture de nos amis ?

Les deux hommes se logèrent chacun dans une bulle et quittèrent enfin les rivages de la mer intérieure. Ils ramenaient au moins des informations assez précises. Paz et la jeune fille avaient été enlevés, conduits probablement dans la cité souterraine.

De retour au COS-200, Mox apprit la nouvelle à Roof. Celui-ci confia :

—      Il faudra délivrer Gia et Nadie. C'est notre devoir.

Jé tempéra l'ardeur du mécano. Il avait son motif.

—      Je veux éviter un affrontement avec les Jerz. La solution n'est pas de leur faire la guerre car cette tactique nous mènerait droit à notre perte. Tu oublies que ces créatures nous tolèrent auprès d'eux, dans leur système solaire.

—      Peuvent-ils nous anéantir ?

—      Ils le pourront toujours en usant d'un moyen scientifique, bien qu'apparemment ils n'aient pas d'armes. Et ils le feront si nous devenons trop gênants.

Roof crispa les poings de rage :

—      Alors, nous devrions lancer un appel à Zolos par ondes accélérées, à travers le subespace.

—      Gardons-nous-en bien ! proféra Mox. Une expédition de secours tomberait dans le piège et ne s'en sortirait pas.

—      Il n'y a donc rien à faire ? se désespéra Ten.

—      Pas grand-chose, dit Jé, pessimiste. En tout cas, il convient d'agir avec une extrême prudence. Toute initiative trop hardie pourrait être fatale.

Klas hocha la tête. Il entra à son tour dans la conversation :

—      Je repense à ce que vous avez suggéré à Vlanda...

—      Quoi donc ?

—      Vous lui avez mis la puce à l'oreille en l'incitant à l'indépendance. Vous rendez-vous compte des responsabilités que vous prenez ? Imaginez un moment les Droffs, fonçant vers Ter-7... Des masses d'antimatière ! De quoi détruire toute l'humanité.

—      N'exagérons rien ! soupira Jé d'un ton rassurant. Les Droffs fabriquent de l'antimatière, c'est vrai, mais leurs capacités sont quand même limitées. Et puis rien ne prouve qu'ils peuvent s'arracher à l'attraction de leur soleil.

—      Hum ! toussa Roof. Le capitaine semble avoir raison. Les nuages rouges se déplacent dans l'espace, se libèrent des atmosphères, et par conséquent disposent d'énormes possibilités. Tant qu'ils sont sous le contrôle des Jerz, c'est rassurant mais s'ils s'évadaient de Molkar, alors tout pourrait arriver. Oui, Jé, pourquoi leur as-tu mis cette idée dans la tête ?

Mox s'énerva :

—      Je cherche un moyen pour franchir la Barrière. Alors je vous en prie, laissez-moi tranquille avec vos inquiétudes nullement fondées !

Il s'adressa à Klas :

—      Je crois que vous connaissez un peu la physique.

—      Un peu. J'aurais aimé me spécialiser dans les ondes électromagnétiques. Malheureusement, ma carrière a tourné autrement. Je suis devenu pionnier, puis chef d'expédition.

Un sourire satisfait tirailla la bouche de Jé :

—      Justement, il s'agit d'électromagnétisme. Est-ce que vous pourriez me fabriquer un champ de force ?

—      Sans doute, opina Klas. Vous le voulez dans une bouteille ?

—      Je le voudrais beaucoup plus gros que ça. Il s'agit de capter quelque chose d'énorme.

—      Un Droff, je parie.

—      Oui, un Droff.

Le capitaine siffla :

—      Je peux toujours essayer. Je ne garantis pas le succès. Mais j'aurais besoin que vous m'aidiez.

Roof se proposa :

—      Je connais un peu aussi l'électromagnétismes. Et puis nous avons l'ordinateur du bord pour résoudre certains problèmes.

—      C'est vrai, dit Klas. Je ne pensais pas à l'ordinateur. Il possède toutes les données en mémoire... Eh bien ! il n'y a qu'à se mettre au travail !

- :-

Ils travaillèrent sans relâche, pendant de longues journées. Ils aménagèrent un coin du COS-200, construisirent une sorte de grosse boule parcourue de fils électriques. Les câbles étaient reliés directement au générateur d'énergie car, au moment crucial, il faudrait beaucoup de courant, tout ce dont le vaisseau disposerait.

Ils édifiaient un dispositif artisanal, avec les moyens du bord, une sorte de prison pour Droff, entourée d'un champ de force. La boule n'était qu'un treillis de fils judicieusement disposés. Quand l'électricité passerait, un champ magnétique de grande intensité bloquerait la sphère.

Jé et Ten travaillaient sous la direction de Klas. Celui-ci prenait la besogne très au sérieux. Il savait que Mox avait besoin de lui et une espèce de fierté fouettait son amour propre. Il mettrait un point d'honneur à réussir.

Or, le succès n'était pas certain. Le capitaine expliqua :

—      Je ne sais pas si l'installation tiendra quand nous balancerons l'énergie dans la sphère. Au fond, je ne suis pas ingénieur. Nous avons fabriqué un piège électromagnétique mais rien n'indique avec assurance que tout ne sautera pas.

Jé hocha la tête, contemplant la boule quadrillée de fils. Il devinait la complexité du système et il n'en voudrait pas à Klas si ça ne marchait pas.

—      A combien estimez-vous les chances ?

—      Cinquante, soixante pour cent.

—      Hum ! C'est mince, constata Roof amèrement.

—      Nous pourrions tenter un essai, dit Klas. Mais si ça échouait, nous bousillerions le matériel déjà en place. En conséquence, je crois sincèrement que nous ferions mieux d'attendre le Droff. Quand celui-ci viendra, nous serons fixés.

Mox jugea l'initiative terriblement hasardeuse. Il ne voyait pourtant pas d'autres solutions. Car si l'essai détruisait l'installation, il perdrait beaucoup de temps pour tout remettre en état.

Il observa :

—      Si tout craque au moment où le Droff pénètre dans la sphère, nous risquons gros. Des masses d'antimatière désintégreront le COS-200.

Klas était moins pessimiste :

—      Ça tiendra ! jugea-t-il. Et puis les Droffs ne sont-ils pas inoffensifs dans une atmosphère ?

—      En principe... fit Jé avec hésitation. Seulement, sans le COS-200, le retour sur Ter-7 serait encore plus problématique. Autant dire que nous perdrions nos dernières chances.

Le capitaine se raccrocha à un espoir. C'était lui, maintenant, qui se montrait optimiste parce que son travail de physique l'avait passionné. Il faisait enfin autre chose que de commander un astronef et un équipage.

—      Il y a l’OZ-2I, mon vaisseau. Je le connais bien. En cas d'incapacité du COS-200, l’OZ-2I nous ramènera sur Ter-7.

—      Illusion, Klas ! remarqua Mox. Pour deux raisons. D'abord, votre astronef est aux mains des Jerz. Ensuite, comme les autres, il ne pourra pas franchir la Barrière.

Le pionnier poussa un gros soupir :

—      En somme, vous vous découragez !

—      Non. Mais ça m'ennuierait qu'un Droff désintègre le COS-200. Pourtant, il faut que nous tentions cette expérience.

—      Il reste à poser l'antenne extérieure, rappela Klas. Je m'en occuperai dès demain. Ainsi, dans quarante-huit heures, nous devrions être prêts.

Les deux jours passèrent très rapidement. John Klas, avec l'aide de Roof, s'affairait à quelques dizaines de mètres du vaisseau. Il avait choisi une petite élévation de terrain pour planter son antenne parabolique, télécommandée de la cabine axiale du Cos-200. Il acheva son travail dans le temps prévu.

Jé ne quittait pratiquement pas un certain écran de contrôle. Jusqu'à présent, l'écran restait noir et ne s'allumait pas. Mais il pouvait s'éclairer automatiquement d'un moment à l'autre.

Anxieux, il demanda à l'ordinateur du bord :

—      A ton avis, est-ce que les installations de fortune montées par Klas tiendront le coup ?

Très rarement, le robot restait évasif. Pourtant, il dit qu'il ignorait ce qui allait se passer car sa mémoire n'était pas programmée pour un tel problème.

Rageur, Mox pesta :

—      A quoi sers-tu, alors ?

—      Je suis désolé, commandant, répondit l'ordinateur. C'est une affaire qui dépasse mes possibilités. Je vous ai donné toutes les directives concernant la construction des champs de force. Vous ne les avez pas toutes appliquées par défaut de matériel et de compétence. Comment voulez-vous que je vous indique un pronostic ?

Jé coupa le cerveau électronique. Avant de se coucher, il brancha un circuit d'appel sur le fameux écran de contrôle qui lui tenait tant à cœur. Un hurlement de sirène le réveillerait si le scope s'allumait.

En fait, il fallut attendre encore trois jours. Enfin, l'écran se piqueta de points lumineux. Un compteur crépita.

Alors, Jé appela Klas et Roof. Il leur montra l'écran :

—      Vlanda approche de Molkar-I.

—      Comment es-tu si affirmatif ? demanda Ten.

—      C'est à cause de la substance radioactive que j'avais répandue. Elle s'est fixée dans les électrons. Maintenant, je sais que Vlanda approche. Il est le seul Droff a être radioactif. Je savais aussi qu'il devait venir prochainement sur Molkar-I pour se faire recharger.

Klas manipula l'antenne extérieure. Par télévision, il contrôla son bon fonctionnement. Ses dents se soudèrent car l'instant crucial approchait.

Il ignorait si le nuage rouge lui permettrait de regagner Ter-7. Pour cela, il faisait confiance à Mox. Mais il se disait que si le captage du Droff ratait, il signait son arrêt de mort.

Ten, lui, avait la main crispée sur une manette qui commandait l'arrivée de l'énergie. Elle était reliée directement au générateur.

Le piège semblait prêt. Les trois hommes étaient chacun à leur poste, angoissés. Il fallait se montrer plus forts que les Jerz. Sinon Vlanda disparaîtrait par la cheminée conduisant vers la cité souterraine. Il irait vers ses maîtres.

- :-

L'œil braqué sur le panoramique, Mox hurla :

—      Il dévie ! Il faut que tu donnes plus de gomme, Ten !

L'écran montrait un énorme nuage rouge en mouvement. Il flottait dans l'air, allongeant par moments des pseudopodes effrayants. En réalité, ces étranges boursouflures ne servaient pas à sa progression dans l'espace ou dans l'air, car il utilisait les champs magnétiques naturels, ajoutés à sa propre énergie. Il pouvait se déplacer à la vitesse de la lumière s'il le voulait, surtout dans le vide. Dans une atmosphère, il éprouvait beaucoup plus de difficultés.

Roof abaissa davantage la manette. Une aiguille courut sur un potentiomètre et Jé enregistra une amélioration. Le Droff semblait tiraillé entre la cheminée d'accès de la cité des Jerz et l'antenne parabolique du COS-200. Les deux pôles d'attraction engageaient une lutte d'influence. Pour l'instant, les forces s'équilibraient.

Klas braquait l'antenne en direction de Vlanda, séparé maintenant par une centaine de kilomètres. Le Droff avait considérablement réduit son altitude et il évoluait au-dessus de l'océan. Il rasait les vagues agitées par un léger vent et sa destination primitive était la cité souterraine.

Ses organes sensoriels enregistraient un autre appel, aussi impératif que celui envoyé par ses maîtres. Il n'en définissait pas exactement l'origine, mais une perturbation s'établissait au niveau de ses neurones. Il ne savait pas exactement auquel des deux pôles attractifs il lui fallait obéir.

Ten crissait des dents, la main sur la manette. Il percevait d'intenses vibrations dans les câbles installés autour de la sphère de captage.

—      Pourvu que le bazar tienne ! murmurait-il.

—      Tu as encore de la réserve ? demanda Jé.

—      Un peu, répondit Roof. Mais il ne faudrait pas exiger bien davantage ; nous approchons du plafond.

         Des torrents de flux électromagnétique se ruaient dans l'antenne parabolique et se trouvaient ainsi rejetés en direction du Droff, vers l'océan.

Enfin, Klas poussa un cri de triomphe :

—      Nous le captons ! Il file par ici et se détourne de la cheminée.

Jé vérifia immédiatement. Les scopes confirmèrent les affirmations du capitaine. Ainsi, la manœuvre semblait réussir, mais il restait les impondérables. Comment savoir si tout marcherait bien jusqu'au bout ?

Vlanda était attiré par le COS-200 et il rampait presque sur le sol, à quelques mètres seulement de hauteur.

Ten remarqua :

—      Les Jerz doivent s'apercevoir que quelque chose ne gaze pas rond. Pourvu qu'ils ne réagissent pas violemment !

—      Comment veux-tu qu'ils réagissent ?

— En augmentant leur potentiel électrique. Ils recapteraient le Droff dans leurs champs de force.

Mox grimaça :

—      Hum ! Je pense qu'ils ont déjà mis tout le paquet. D'ailleurs, ils ne s'attendaient guère à notre riposte et d'ici qu'ils aient trouvé une solution, Vlanda sera dans la sphère.

Roof restait malgré tout inquiet. Les résultats positifs pouvaient s'écrouler d'une seconde à l'autre.

—      Si les installations ne sautent pas ! proféra-t-il sombrement.

Attentif devant des appareils de contrôle, Klas donna les dernières informations. Il était très anxieux :

—      Le Droff approche. Il n'est plus qu'à quelques centaines de mètres...

Le panoramique renvoyait l'image d'un formidable nuage rouge. Les trois hommes se demandaient comment une masse aussi énorme pourrait tenir dans une sphère de petite dimension. Ils savaient heureusement que les créatures électroniques se contractaient...

Vlanda s'engagea délibérément dans la tubulure mise en place par les Terriens. Ce tuyau émergeait par le sas et aboutissait à la sphère bardée de fils électriques.

Comme de la vapeur, il s'engouffra dans le conduit, suivit les méandres, et parvint dans le sphéroïde-piège. Aussitôt, Klas bascula un contacteur. Une terrifiante énergie se précipita dans les câbles. De fulgurantes étincelles mauves et vertes claquèrent lugubrement.

Quelque chose de rouge se concentra dans la sphère et quand les appareils indiquèrent que la totalité du Droff était captive, les trois hommes poussèrent un soupir de soulagement.

         Ten abaissa la manette, s'épongea le front :

—      Ouf ! Ça a tenu ! clama-t-il.

Il stoppa l'énergie. Les câbles brûlants se refroidirent. Les étincelles tarirent. Il ne subsista plus qu'une lueur rougeâtre à l'intérieur du champ de force.

Klas contemplait la sphère, admiratif :

—      Je vous ai amené le Droff, dit-il à Jé. Mon travail est terminé. C'est à vous de jouer maintenant.

—      Vous oubliez que nous devons absolument recharger Vlanda, remarqua Mox, et que nous avons encore besoin de vous. Ce sera la seconde phase, aussi aléatoire que la première. Mais en attendant, capitaine, je vous tire mon chapeau.

Il tendit la main au pionnier et le remercia chaleureusement. Sans Klas, nul doute que Jé ne serait pas parvenu à ses fins, malgré l'aide de l'ordinateur du bord. Mais il ne s'agissait pas d'avoir capturé un Droff. Encore fallait-il que cette opération serve à quelque chose.

Roof ressassa son inquiétude :

—      Je crains les Jerz. N'oublions pas que Nadie et Gia sont entre leurs mains. Ne croyez-vous pas que c'est une bonne monnaie d'échange ?

—      Echanger Nadie et Gia contre Vlanda ? rétorqua Mox. Je n'y avais même pas pensé car j'ai d'autres projets plus ambitieux pour le Droff.

—      Lesquels ? demanda Klas. Car au fond, vous restez muet quand on vous interroge. Moi, comme Roof, je croyais sincèrement que le Droff serait échangé contre vos amis.

Le commandant du COS-200 hocha la tête. Des trois, c'était lui qui possédait le plus d'imagination. Il utilisait au maximum les ressources de son cerveau.

—      Vous n'avez encore pas compris que seuls les Droffs peuvent nous aider à franchir la Barrière ?

 

CHAPITRE IX

 

Ils contemplaient le Droff prisonnier dans la sphère. Ils avaient réussi un exploit, alors qu'au début leurs chances étaient minces. Maintenant, ils prenaient sérieusement confiance en eux.

Le champ de force emprisonnait Vlanda. Celui-ci apparaissait comme une lueur rougeâtre à l'intérieur du piège électromagnétique. Il semblait prendre son mal en patience. Peut-être retrouvait-il un environnement analogue à celui qu'il connaissait dans la cité des Jerz. Car s'il s'était introduit par la cheminée d'accès, il aurait été aussi absorbé par une tubulure et capté.

Klas contrôlait l'efficacité du champ. Il fallait une partie seulement de l'énergie du générateur pour maintenir une force suffisante à la paralysie des électrons. Mais la capture avait nécessité une grosse consommation de courant.

 

—      O.K. ! dit le capitaine avec un sourire. Le Droff est aussi doux qu'un agneau. Roof ne se lassait pas de contempler l'étrange créature électronique prisonnière de la sphère. Vlanda lui produisait une terrible impression de puissance, quelque chose d'invincible contre lequel on ne luttait pas. Pourtant, les Droffs avaient été conçus par des cerveaux intelligents. Les Terriens auraient pu inventer les nuages rouges. Le hasard de leurs recherches les a poussés dans d'autres directions de l'électronique et de la physique.

C'est ce que tentait d'expliquer Jé, persuasif :

—      Les Droffs ne doivent absolument pas nous effrayer. Ce sont des créatures artificielles, des robots ou des automates comme nous ne les concevons pas, car ils nous seraient inutiles. Or, tout automate est contrôlable. Il dépend d'autrui, il a besoin de ses créateurs. Sans les Jerz, les Droffs périraient.

Ten hocha la tête. Il voyait le côté spectaculaire de l'invention :

—      Vous vous rendez compte ? Des créatures composées uniquement d'électrons purs, et avec un cerveau. Ça semble fantastique !

—      Mais c'est fantastique ! appuya Mox. Il n'en reste pas moins vrai que c'est du domaine du réalisable. Des électrons purs, nous pouvons en fabriquer. Mais nous n'avons jamais eu l'idée de donner à ces électrons une cohésion pour qu'ils s'amalgament en masses mouvantes. Car sans énergie, sans « recharge », c'est cela qui attend les Droffs : la dissociation.

—      Vous croyez ? douta Klas.

—      J'en suis certain. A la longue, les masses fluidiques perdraient leur pouvoir agglomérant. Leurs molécules se sépareraient. Il y aurait désintégration.

Roof pensa qu'il y avait un moyen de forcer la Barrière vivante. Son visage s'éclaira :

—      Ne pouvons-nous pas provoquer cette dissociation ? Par des procédés physiques, par exemple.

—      Tu songes à un bombardement neutronique ? dit Jé. Hum ! Les Droffs possèdent la parade en émettant des molécules d'antimatière. A des neutrons, ils ripostent par des antineutrons. C'est pour ça que nos désintégrateurs sont inefficaces. En conséquence, il faut bien chercher autre chose.

—      Tu as trouvé ?

Mox haussa les épaules :

—      Peut-être.

Il restait circonspect, prudent dans ses paroles. Il ne s'avançait pas, ne faisait aucun pronostic. Mais il sentait bien que tout l'espoir de ses compagnons reposait sur lui.

Il prit une décision :

—      Laissez-moi seul avec Vlanda.

Comme Roof fronçait les sourcils, il insista :

—      Si, laissez-moi.

Ten soupira. Il sortit le premier, suivi par Klas. Les deux hommes regagnèrent la cabine de pilotage.

Quand il fut seul, Jé se figea, les jambes légèrement écartées. Il se raidit. Tout son être vibra intensément. Sa pensée s'obnubila sur un seul mot, une seule phrase, toujours la même, qu'il se répétait dans sa tête jusqu'à l'obsession.

—      Vlanda...

Il ne bougeait pas les lèvres. Tendu au maximum, il projetait un flux télépathique en direction de la sphère et l'effort crispait ses traits. Son visage s'inondait de sueur. Il restait à prouver que les Droffs pouvaient communiquer à distance.

—      Vlanda..., répétait-il.

Enfin, au bout de quelques secondes, une réponse s'insinua dans son cerveau. Il la décoda très vite. Elle était nette, précise.

—      Tu es là, Mox ?

—      Oui, je suis là. Je suis content de parler avec toi, Vlanda.

—      Pourquoi m'as-tu capté ?

—      Parce que je suis ton nouveau maître.

         Cette étonnante révélation surprit le Droff. Il resta un moment sans rien dire et Jé crut que le contact était interrompu. En fait, la créature électronique réfléchissait. Son cerveau entrait dans une sorte d'ébullition. Pouvait-il tout comprendre ?

Enfin, il eut cette réplique pleine de philosophie :

—      Un nouveau maître ? Je veux bien.

—      Tu es d'accord ? S’enthousiasma Mox.

—      Oui. Si tu m'as capté, ça signifie que tu possèdes une grande intelligence, encore supérieure à celle des Jerz. Or, j'ai beaucoup de respect pour l'intelligence. D'ailleurs, ai-je une autre solution que d'accepter ta tutelle ?

—      Non, dit sèchement Jé. C'est à prendre ou à laisser. Tu es mon prisonnier. Tu as quitté les espaces sidéraux pour te recharger en énergie. C'est bien ça ?

—      C'est exact.

—      Si tu veux donc être rechargé, il faudra que tu m'obéisses.

—      Sinon ?

—      Sinon, tu resteras captif de cette sphère jusqu'à ce que j'aie trouvé un moyen pour te désintégrer. Et crois-moi, j'y arriverai car je suis têtu.

Vlanda ne semblait nullement souffrir de ce changement de dépendance. L'essentiel, pour lui, consistait à se recharger. Sans cette opération, ses électrons se dissocieraient et le Terrien n'aurait même pas à intervenir.

Il en prit son parti :

—      Je te reconnais comme mon maître. Tu as réussi à tromper les Jerz. Mais pourras-tu me recharger en énergie ?

—      Je le crois.

—      Tu ne sembles pas sûr !

—      Je n'étais pas sûr non plus de te capter. Cette victoire sur les Jerz prouve que les Terriens sont des grands bonshommes quand ils le veulent.

Vlanda voulut en savoir davantage sur les intentions de Max. Il comprenait qu'il était tombé dans un piège et il essayait d'en sortir avec les honneurs. Il savait que le temps jouait en faveur du Terrien.

—      En admettant que tu me recharges, quelle compensation devrai-je te donner ?

—      Ta fidélité.

—      Quelle fidélité ?

—      Eh bien ! tu m'aideras à franchir la Barrière !

Les desseins de Mox se précisaient. Vlanda mit la situation au point :

—      Ecoute... Je te servirai sans regret. Mais je ne pourrai pas grand-chose. Je ne suis pas seul. Nous sommes des centaines de Droffs.

—      Des centaines ? s'effraya Jé, les sourcils froncés.

         —      Oui. Tu oublies que les autres Droffs obéissent toujours aux Jerz. Si ce n'est pas moi qui désintègre ton vaisseau, ce sera l'un de mes congénères. Tu ne passeras pas.

—      Nous verrons, s'obstina Jé.

—      Mes compagnons apprendront vite que je suis un traître. Ils m'élimineront de la bande. Ils me chasseront. J'errerai alors dans l'espace, sans but. Tandis que jusqu'à présent, j'avais une mission à remplir : je protégeais les Jerz.

—      Rappelle-toi ce que je t'ai dit, là-bas, dans le vide. Il y a autre chose que les Jerz. Il faudrait que tu franchisses à ton tour la Barrière. Tu saurais ce qu'il y a derrière.

—      Tu m'emmènerais sur Ter-7 ?

—      Peut-être, glissa Mox sans conviction. Pour cela, il faut que tu collabores avec moi. C'est la première fois que je « recharge » un Droff. Quand tu auras reçu ton plein d'énergie, tu reprendras contact avec moi. Je ne connais pas ta « dose » individuelle.

—      Je te préviendrai, opina Vlanda. Chez les Jerz, les choses ne se passent pas comme ça. Ils nous rechargent automatiquement.

—      Bon. Tu es prêt ?

—      Je suis prêt.

Jé coupa le contact télépathique. Il se relaxa. Tous ses muscles s'amollirent et il éprouva soudain une intense fatigue. Sa tête était lourde, ses membres contractés.

         Il récupéra pendant quelques secondes, fit plusieurs inspirations, et se dirigea vers la manette libérant l'énergie dans la sphère. Lentement, très lentement, il abaissa le levier. Son œil vigilant se fixa sur le potentiomètre.

Les câbles électriques recommencèrent à chauffer dangereusement. Les étincelles refirent leur apparition dans la boule, claquant sèchement. Jé déclenchait en somme un orage miniature, concentré. Il libérait une énergie énorme.

De la façon dont tourneraient les choses dépendait peut-être son avenir et celui de ses compagnons.

- :-

Quand Nadie ouvrit les yeux, elle trouva bizarre de se retrouver allongée sur une couchette, dans un astronef. Elle fut prise de panique, se dressa, et constata que sa tête était lourde.

Ça faisait la seconde fois qu'elle se réveillait dans des endroits différents. La première fois, elle s'était évanouie sur la plage de cette mer intérieure, si jolie, mais qui restait pour elle le plus vilain lieu de la création.

Elle se souvenait de l'attaque du Droff. Puis plus rien. Le néant. Le vide. Avec Gia, elle s'était retrouvée dans la cité souterraine des Jerz. Elle avait été un objet de curiosité pour les créatures sphériques. On l'avait observée, palpée, et elle avait subi de nombreux tests sans qu'elle ait pu lever le petit doigt.

Une force la paralysait. Elle n'était pas inconsciente puisqu'elle voyait tout ce qui se passait autour d'elle, mais sa volonté semblait annihilée. Gia subissait sans doute un examen analogue dans un autre laboratoire.

Apparemment, les Jerz ne lui voulaient pas de mal. Ils la traitaient bien. Quand ils eurent fini leurs tests, ils l'endormirent. Et maintenant, elle se réveillait dans un vaisseau spatial !

Nul doute. C'était même un vaisseau d'origine terrestre. Elle faillit crier de joie en espérant qu'il s'agissait du COS-200, mais bien vite elle reconnut son erreur.

C'était un astronef de l'Exploration Spatiale, l’OZ-2I. Il s'était posé sur la plage de la mer intérieure quand le Droff était intervenu. Pourquoi se trouvait-elle là ?

Elle tituba, aperçut Paz sur une autre couchette. Elle marcha vers lui et le secoua :

—      Gia ! Gia ! appela-t-elle.

Fort heureusement, le spécialiste en télécommunications sortit de sa torpeur. Il ouvrit les paupières, reconnut la jeune fille penchée sur lui, et se dressa d'un bond, la bouche pâteuse.

Il avait aussi la tête lourde comme s'il avait été drogué. Il récupéra pendant quelques secondes et grogna ; l'œil interrogateur furetant autour de lui :

—      Où sommes-nous ?

—      A bord de l’OZ-2I.

—      Quoi ? rouspéta-t-il. Ce machin au service des Jerz ?

—      Oui. J'ai l'impression que nous voguons dans l'espace.

—      Attends. On va voir ça.

Ils quittèrent la chambre, descendirent vers la cabine de pilotage et constatèrent qu'ils étaient seuls. D'ailleurs ils s'en rendirent compte en fouillant méthodiquement le vaisseau.

—      Seuls ! répéta Gia, anéanti. Qu'est-ce que ça signifie ? Est-ce que les Jerz nous relâcheraient ?

Nadie alluma le panoramique. Elle retrouvait des gestes habituels et cette cabine ne la changeait guère de celle du COS-200. Les appareils étaient à peu près analogues.

L'écran montra le noir de l'espace. Des boules brillantes fuyaient à l'horizon et la navigatrice se repéra très vite grâce à son expérience. Elle localisa leur point dans le vide interplanétaire.

—      Nous filons vers la zone extra-périphérique, annonça-t-elle.

Immédiatement, Paz songea aux Droffs. Sa bouche grimaça :

         —      ILS nous attendent, là-bas...

Il actionna des manettes mais la vitesse de l'OZ-2I ne se modifia pas. Les moteurs étaient hors circuit.

—      Nous voguons sur une épave téléguidée ! gronda le gros homme. Les Jerz nous projettent là où ils veulent.

Nadie crispa ses doigts :

—      Il n'y a rien à faire ?

—      Rien, dit Paz, découragé. L'OZ-2I est porté par des ondes électromagnétiques. Je ne peux pas allumer les moteurs.

Il s'approcha du tachymètre et observa :

—      Notre vitesse est de cent mille kilomètres à l'heure. Cela est suffisant pour échapper à l'attraction du soleil.

—      Il n'est pas question de franchir la Barrière ! Tu sais bien que nous ne le pourrions pas.

—      Je sais. Mais nous sommes entraînés de force et nous ne pouvons pas changer la situation, comme si nous étions prisonniers dans cette foutue boîte de conserve !

Paz se précipita vers le poste de télécommunications. Il manipula des boutons, l'espoir au cœur, et il lança un appel angoissé :

—      Jé... Tu m'entends ?

Il réitéra son message plusieurs fois. Nulle réponse n'arrivait. A la fin, il se découragea :

         —      Le poste débloque à plein tube, perturbé profondément par un puissant Champ électromagnétique. Je ne peux pas accrocher le COS-200. Pourtant, c'était notre dernière chance.

Le visage de la navigatrice devint de cire :

—      Que veux-tu dire ?

—      Eh bien ! les Droffs vont nous bouffer ! Je me demande comment tu ne l'as pas compris !

—      Quel intérêt ont les Jerz de nous envoyé à la mort ?

—      Je n'en sais rien. Ces « oranges » sont tellement bizarres qu'il ne faut s'étonner de rien. Elles se débarrassent de nous comme d'une chose inutile. Et crois-moi, elles nous lorgnent tout le long du parcours. J'ai même la conviction qu'elles assisteront à notre agonie...

Nadie voulait encore espérer. Elle essayait de comprendre la psychologie des Jerz :

—      Ils étudient notre comportement, c'est sûr. Les tests qu'ils nous ont fait subir dans leurs laboratoires prouvent qu'ils s'intéressent à nous.

Paz haussa les épaules :

—      Bah ! Nous sommes un objet de curiosité pour eux. Ils étudient surtout notre morphologie, nos réactions. Ils nous prennent pour des cobayes et, une fois encore, on va payer les pots cassés. Ils attendent notre dernière confrontation avec les Droffs. Nous passerons à la casserole comme Ron Fallay et son équipage.

Les heures s'écoulaient sans qu'ils puissent changer quelque chose à leur terrible situation. Ils avaient tellement la conviction qu'ils allaient mourir que pas un instant ils n'envisagèrent une autre solution.

La zone extra-périphérique approchait maintenant à vive allure, bien que la vitesse de l'OZ-2I soit toujours de cent mille kilomètres à l'heure.

Gia eut une idée :

—      La nef de secours !

—      Eh bien ? sursauta Nadie.

—      Nous pouvons abandonner le vaisseau avant qu'il n'atteigne la zone dangereuse. Il nous suffira de regagner une des planètes du système.

Paz vérifia le compartiment de l'engin de secours et il poussa une sourde exclamation de dépit :

—      ILS ont enlevé la nef !

—      Mais non ! remarqua la jeune fille avec un soupir. La nef a été utilisée par l'équipage de Klas, souviens-toi. Et elle a été accidentée sur Molkar-2.

Gia se frappa le front. Il crispa douloureusement ses traits :

         —      C'est vrai. Tout se brouille dans ma tête. Ma mémoire me joue de vilains tours.

Il croisa les bras sur sa poitrine :

—      Alors, nous sommes cloués ici !

Nadie désigna une masse rougeâtre sur le panoramique. Le Droff était encore loin, très loin, mais il se rapprochait du vaisseau de façon à fondre sur lui quand il le jugerait nécessaire.

Paz grimaça :

—      Voilà notre ange gardien. Il doit avoir de l'appétit.

La situation empira très vite et nos deux amis n'en étaient plus maîtres. Ils étaient ballottés comme des fétus et ils s'apprêtaient à livrer un combat retardateur.

Une nouvelle fois, Gia tenta de freiner la course de l'astronef. En vain. L'OZ-2I n'obéissait qu'aux Jerz. Finalement, il renonça.

S'asseyant dans un fauteuil, il glapit :

—      Nous sommes perdus !

—      Les scaphandres, Gia ! Il y a les scaphandres.

Il haussa les épaules :

—      Attendons le dernier moment en espérant que nous franchirons la Barrière...

—      Tu crois que les Jerz nous rejetteraient hors de Molkar ?

—      Tout porte à penser qu'ils veulent nous faire franchir la zone extra-périphérique.

         Le Droff se rapprocha encore. Sur l'écran, il parut immense, déploya ses tentacules comme une pieuvre. Bientôt, l’OZ-2I fut enveloppé par un brouillard rouge.

—      IL nous suit comme son ombre ! déclara Nadie.

—      Evidemment ! soupira Gia. A quoi t'attendais-tu ?

Soudain, d'intenses vibrations secouèrent le vaisseau. Il semblait que des milliers d'archers raclaient les cordes de milliers de violons. Cela faisait un bruit infernal.

La jeune fille se boucha les oreilles :

—      C'est horrible, Gia !

—      Le Droff attaque ! Il va désintégrer le vaisseau.

—      Que peut-on faire ?

—      Rien, dit Paz, impuissant. Ou plutôt si. La seule ressource est d'endosser nos vidoscaphes car dans cinq minutes, nous péririons asphyxiés...

Ils se dirigèrent vers une armoire, l'ouvrirent, sortirent les combinaisons spatiales. Ils s'équipèrent en hâte. Mais avant de visser définitivement les casques, ils attendirent.

L'OZ-2I craquait de toutes ses membrures, comme s'il se déchirait. Il gémissait et déjà des fissures lézardaient sa coque. Les biotests indiquaient la cote d'alerte.

Nos deux amis bloquèrent leurs casques. Ils s'avancèrent vers le sas et ils avaient l'impression que l'astronef tanguait, qu'il n'était plus stable. Certaines parties des parois se gondolaient comme sous l'effet d'une chaleur terrifiante.

Pourtant, les appareils ne notaient aucune élévation de température. Mais des molécules d'antimatière détruisaient les atomes de métal. Déjà, des trous s'agrandissaient un peu partout comme une lèpre hideuse. Quelque chose suçait littéralement l'OZ-2I.

Ils s'éjectèrent de l'engin en perdition, tournoyèrent un moment à travers le brouillard rouge, et d'une giclée de leur réacteur dorsal, ils se mirent hors de portée.

Quand ils s'échappèrent de la masse électronique, leur horizon redevint plus clair. Ils distinguèrent le nuage rouge à quelques dizaines de mètres d'eux, noyant ce qu'il restait du vaisseau terrestre. Celui-ci se déformait sans cesse, fondait comme de la neige au soleil. Bientôt, il n'en subsisterait même plus un seul débris.

Ils s'éloignèrent encore de la zone dangereuse. Le Droff disparut dans l'espace, entraînant sa proie avec lui. Par radio, Nadie communiqua ses impressions :

—      Je n'explique pas pourquoi les Jerz ont abandonné l’OZ-2I aux Droffs alors qu'ils pouvaient encore utiliser l'astronef.

La voix de Gia grésilla :

         —      Bah ! Pourquoi te casses-tu la tête ? Peu importe ce que manigancent les Jerz. Je crois que nous servons de cobayes car sur Molkar-I, ils doivent nous observer et se demander avec intérêt si nous nous en sortirons.

Un espoir fouetta la jeune fille :

—      On peut appeler Jé ?

—      Tu rigoles ! Le COS-200 est à des millions de kilomètres et nos émetteurs radio ne portent qu'à quelques milles. Nous sommes livrés à nous-mêmes.

—      Qu'est-ce qui peut advenir de nous ?

Paz avoua la vérité :

—      Oh ! Nous avons des vivres et de l'oxygène pour huit jours. Après, nous périrons asphyxiés.

—      Tu as remarqué ? Le Droff nous a épargnés, preuve qu'il avait des ordres.

—      Oui. Mais c'est encore plus terrible une agonie dans l'espace, confia Gia. J'aurais préféré être désintégré. Pas toi ?

A l'aide de son moteur-fusée, Nadie se rapprocha de son camarade. Elle n'en était qu'à trois mètres et elle discerna son visage grimaçant derrière le hublot du casque.

—      Je crois que nous ferions bien d'économiser l'énergie.

Il acquiesça, coupa son réacteur. Il flottait en apesanteur et autour de lui, tout était noir. L'horizon était poudré d'étoiles. Quel silence ! Quel décor grandiose ! Même avec l'habitude, c'était impressionnant. Surtout quand on savait qu'on n'avait aucune chance de s'en sortir. A moins d'un miracle !

—      Huit jours ! répéta-t-il sombrement. C'est long et c'est court. Il peut se passer beaucoup de choses. Ou pas. Jé ignore que nous sommes ici et il ne viendra pas nous chercher.

Ils dérivèrent. Ils ne pouvaient pas se repérer et ils se contentaient de rester ensemble, l'un près de l'autre. Ils remettaient maintenant leurs vies entre les bras du Destin.

Au bout de trois jours, la situation n'évolua pas. Ils étaient comme des cadavres ambulants dans leur cercueil de plastique. Ils savaient que chaque heure qui s'écoulait les rapprochait de la mort. Une mort horrible.

Ils s'alimentaient à l'aide d'une pipette fixée devant leurs bouches. Périodiquement, ils absorbaient ainsi une nourriture hautement énergétique, sorte de bouillie jaunâtre et sans saveur. Ils avaient aussi de l'eau. Tous les vidoscaphes étaient conçus de façon à survivre une semaine dans l'espace.

Les combinaisons climatisées assuraient une température de dix-huit degrés. Ils n'avaient ni froid, ni chaud. Ils souhaitaient que cette régulation thermique fonctionne jusqu'au bout. Sinon, la mort viendrait plus tôt. De toute façon, ils savaient que ce serait l'oxygène qui flancherait le premier car, en économisant la nourriture, ils pourraient à la rigueur tenir quarante-huit heures de plus.

Mais ils ne pouvaient pas s'empêcher de respirer. Dans cinq jours maintenant, l'air manquerait. Alors, l'asphyxie les gagnerait progressivement.

Au quatrième jour de leur long calvaire — heureusement qu'ils avaient des montres sans cela ils n'apprécieraient pas le temps — ils aperçurent quelque chose dérivant dans l'espace.

Au début, à cause de l'éloignement et de l'aveuglante clarté du soleil, ils crurent qu'il s'agissait d'un petit chapelet de météorites. Ils éprouvèrent un moment d'intense émotion car la rencontre avec ces corps célestes compromettrait encore leurs chances.

En fait, ils comprirent vite que c'était cinq cadavres d'hommes abandonnés dans le vide. Ils pensèrent aussitôt à Ron Fallay et à son équipage. Etait-ce le hasard qui les mettait sur leur route ou bien était-ce voulu par les Jerz ?

Ils actionnèrent leurs réacteurs dorsaux et se rapprochèrent. Ils côtoyèrent bientôt les cinq corps dépourvus de scaphandres. Les malheureux étaient gelés, raides, mais parfaitement bien conservés comme dans une chambre froide. Ils portaient tous leur plaque d'identité autour du cou.

Ainsi, Gia et Nadie mirent des noms sur tous ces visages inconnus que la mort avait figés. Ron Fallay, le capitaine de l'AM-I4, était parmi eux.

Paz soupira :

—      Eh bien, ils n'ont pas souffert au moins. Ce ne sera pas comme nous. Il vaut mieux leur sort que le nôtre.

—      Tais-toi, Gia ! supplia la jeune fille. On se fait du mal en parlant ainsi.

—      Oh ! tu sais, il y a des fois que je voudrais arracher mon casque et mourir tout de suite.

—      Ne fais pas ça !

—      Je ne le fais pas parce que tu es là et que je ne veux pas te laisser seule. Mais quand je vois tous ces macchabées, ça me fout le cafard !

Il désigna les cinq corps flottant dans le vide. Puis, d'une poussée de son réacteur, il prit une certaine distance ; la proximité des cadavres l'incommodait.

Nadie le rejoignit. Ses yeux exprimaient une grande tristesse. Elle aurait préféré mourir aux côtés de Jé. Elle savait pourtant que le COS-200 ne franchirait jamais la Barrière, que Mox, Ten et Klas étaient prisonniers de Molkar.

         Elle invectiva les Jerz :

—      Ils assistent à notre agonie. Je les hais !

—      Tu peux les haïr ! gronda Gia. Non seulement ils nous empêchent de retourner chez nous, mais ils jouent avec nos vies comme s'ils s'amusaient de voir mourir quelqu’un... Ah ! si j'en tenais une entre mes mains de ces oranges à tentacules, je te jure qu'elle      passerait  un     mauvais   quart d'heure !

Comme si la situation n'était pas assez dramatique, elle se compliqua encore vers le soir du sixième jour. Un nuage rouge se profila à l'horizon et il grossissait à vue d'œil.

Nul doute, il fonçait en direction des Terriens. Ceux-ci n'échapperaient pas à la poursuite du Droff.

Paz poussa même un soupir de soulagement :

—      Au fond, tant mieux. Nos malheurs s'achèvent. Le Droff va sucer nos scaphandres et nous deviendrons comme Ron Fallay et les autres : des cadavres ambulants. Je me demande pourquoi nous avons eu droit à une survie de six jours...

Gia tira de sa gaine le polyray qu'il portait à la ceinture. Il fit face à la créature électronique en sachant parfaitement que sa conduite était inutile.

         Mais les hommes étaient animés d'un désir effréné de conservation. Paz, comme Nadie, n'échappait pas à cette règle. Pourtant, ils ne pouvaient rien contre le Droff.

 

CHAPITRE X

 

—      Vlanda arrive de l'espace ! annonça Klas, figé devant un écran.

Jé sursauta. Il ne s'attendait pas à ce retour inopiné du Droff. Il l'avait relâché deux jours plus tôt, complètement rechargé en énergie, et le nuage avait regagné la zone extra-périphérique. Aussi sa venue ne s'expliquait pas.

—      Vous êtes sûr que c'est bien Vlanda ? Klas insista ; désignant un spot qui courait sur l'écran :

—      Evidemment. J'enregistre une certaine radioactivité.

Mox soupira, conscient de la réalité. Il quitta le COS-200, se fit déposer à terre par l'ascenseur tubulaire, et attendit un peu à l'écart du vaisseau, près de l'antenne parabolique toujours implantée sur son mamelon.

Au bout d'une heure, le Droff fit son apparition dans le ciel. Il piqua droit sur l'astronef et quand il vit Jé, il se dirigea vers lui. Bientôt, le Terrien fut enveloppé d'un brouillard rougeâtre.

Un flux télépathique l'assaillit :

—      Mox... J'ai quelque chose de très grave à t'apprendre.

Jé s'immobilisa, jambes écartées. Il concentra sa pensée avec effort. L'arrivée brusque de Vlanda signifiait peut-être de nouveaux ennuis.

—      Au sujet des Jerz ?

—      Non. Mais de tes compagnons, Nadie Gem et Gia Paz.

Le commandant tressaillit. Il songea au pire :

—      Ils sont morts ?

—      Ils le seront si tu n'interviens pas immédiatement. Ils n'ont plus que vingt-quatre heures de sursis.

—      Que se passe-t-il ?

—      Mes anciens maîtres ont envoyé l'OZ-2I vers la zone extra-périphérique et ils ont tout fait pour que le vaisseau franchisse la Barrière. Ce qui devait se produire est arrivé.

—      L'OZ-2I a été attaqué par les Droffs ? devina Jé.

—      Oui. Mais Nadie Gem et Gia Paz étaient à bord. Ils se sont échappés en scaphandre. Or, tu sais qu'ils n'ont que huit jours de survie.

—      Où sont-ils maintenant ?

         —      Je peux te conduire jusqu'à eux. Ils ont découvert les corps de Ron Fallay et de son équipage. Ils flottent dans l'espace et dans vingt-quatre heures, leur réserve d'oxygène sera épuisée.

Un doute s'infiltra chez le commandant :

—      Tu es venu spécialement pour me dire ça ?

—      Oui. Ça t'étonne ?

—      Un peu.

—      N'es-tu pas mon nouveau maître ? Je dois te servir.

—      Eh bien, Vlanda, je te remercie. Mais les Jerz ont dû te repérer.

—      Ça n'a pas d'importance. Je suis « chargé ». Ils ne peuvent pas me capter en pleine charge.

—      Sans doute. Mais ils vont se méfier. Le Droff n'attachait pas d'intérêt aux Jerz, comme s'il les avait éliminés de sa mémoire. La situation dans l'espace paraissait bien plus préoccupante.

—      Dépêche-toi, Mox.

Celui-ci relâcha sa pensée. Il passa une main égarée sur son front couvert de sueur et courut vers le Cos-200. Il se rua dans l'ascenseur, déboucha en trombe dans la cabine axiale, surprenant Klas et Roof.

—      Décollage immédiat ! hurla-t-il.

Ten obtura le sas et fronça les sourcils :

         —      Tu vas nous expliquer ?

—      C'est à cause de Nadie et de Gia. Il faut les récupérer dans la zone extrapériphérique. Nous n'avons pas une seconde à perdre.

Les moteurs du puissant vaisseau s'allumèrent. Des flammes orangées giclèrent en dessous des tuyères et le gigantesque engin elliptique s'éleva sur une colonne de feu. Il grimpa de plus en plus vite vers les hautes couches atmosphériques, échappant bientôt à l'attraction de Molkar-I.

Il fonça dans l'espace à une vitesse proche de celle de la lumière. Il croyait même avoir semé Vlanda lorsque ce dernier apparut sur le panoramique, suivant le COS-200 comme son ombre.

Roof grimaça :

—      Il est collé à nous comme une sangsue !

Jé n'était pas surpris :

—      C'est logique. Il m'a dit qu'il nous accompagnait.

—      Si je comprends bien, grommela Ten, nous ne pouvons plus nous débarrasser de ce Droff. Un jour ou l'autre, il sera gênant.

—      Pour le moment, il est rassurant, dit Mox avec un sourire. Sans lui, Nadie et Gia mouraient asphyxiés.

Vlanda conduisit les Terriens vers la zone extra-périphérique. Mais pas un seul instant le vaisseau ne chercha à échapper à l'attraction du soleil. Au contraire, il ralentissait son allure.

Ten fouillait le panoramique. A un moment, il poussa un cri. Il apercevait deux corps flottant dans l'espace. Le Droff les avait donc conduits au bon endroit.

Jé prit toutes les mesures pour récupérer ses camarades. Il s'approcha au plus près, immobilisa le vaisseau, et avec anxiété, il contacta ses amis par radio :

—      Gia, tu m'entends ?

—      O.K. ! répondit triomphalement Paz, agitant les bras. Tu arrives au poil. Encore quelques heures et nous avalions notre extrait de naissance !

Mox s'adressa à la navigatrice :

—      Et toi, Nadie ?

—      Ça va. Ne viens pas nous chercher. Nous rentrons tout seuls, comme des grands !

Les deux naufragés actionnèrent leurs réacteurs dorsaux. Ils se propulsèrent en direction du COS-200 et quand ils atteignirent l'astronef, ils s'introduisirent dans le sas ouvert. Ce n'était pas la première fois qu'ils opéraient cette manœuvre. Ils l'avaient répétée des dizaines de fois au cours des entraînements.

Enfin, le sauvetage sidéral s'acheva. Nadie et Gia purent être réconfortés. Ils venaient d'échapper à une mort atroce car ils n'avaient plus que quelques heures d'oxygène.

Jé serrait Nadie dans ses bras et l'embrassait. Il la considérait comme sa fiancée et il aurait eu un immense chagrin s'il lui était arrivé quelque chose.

—      Bon sang ! grogna-t-il. Que voulaient prouver les Jerz en vous abandonnant dans l'espace ?

Paz récupérait en s'alimentant. Son courage revenu, il retrouvait aussi sa bonne humeur naturelle. Les mauvais moments s'oubliaient vite !

—      Les Jerz tâtaient notre endurance. Ils voulaient savoir combien de temps nous tiendrions. Ils se livrent à toutes sortes d'expériences sur notre dos...

Nadie Gem prit le commandant à part. Son visage était grave :

—      Nous avons trouvé Ron Fallay et son équipage.

—      Je sais. Vlanda me l'a dit. Car c'est à Vlanda que vous devez la vie. Pour ce qui est de Fallay, nous allons récupérer les corps et nous les enterrerons sur Molkar-I. C'est tout ce que nous pouvons faire pour eux. Mox désigna le panoramique sur lequel défilait un immense nuage rougeâtre. Il sourit :

 

—      Ce Droff est devenu notre auxiliaire depuis que nous l'avons capté et rechargé.

—      Tu as fait ça ? s'étonna la navigatrice.

—      Oui. Je ne le regrette pas. Vlanda est dévoué. Il nous aidera peut-être à franchir la Barrière à condition que je l'emmène vers Ter-7.

Les yeux de la jeune fille s'ouvrirent de frayeur :

—      C'est impossible, Jé !

—      D'accord, c'est impossible, concéda Mox. Mais nous serons sans doute obligés d'en arriver là. A moins de renoncer définitivement à quitter Molkar.

—      Vlanda constitue une menace pour Ter-7. Et comment l'emmèneras-tu ?

—      Dans la sphère que Klas a construite. Il est bien certain qu'il ne peut pas nous suivre dans la quatrième dimension.

Jé fit visiter l'installation à Nadie et à Gia. Puis il ramena le COS-200 sur Molkar-I. Le Droff s'évanouit dans l'espace et demeura dans la zone extra-périphérique.

Les Terriens récupérèrent au passage les corps de Ron Fallay et de ses compagnons. Ceux-ci eurent une sépulture convenable sur la première planète de ZM. 17 X.

Après la cérémonie, Mox et ses amis crurent enfin qu'ils seraient tranquilles. Ils se trompaient. Ils étaient encore près des tombes fraîchement creusées quand un curieux engin attira leur attention.

Il s'agissait d'un de ces véhicules cylindriques qui servait aux Jerz de moyen de locomotion.

Il s'immobilisa sans bruit à proximité des hommes. Trois créatures orangées occupaient trois alvéoles de l'engin. L'une d'elles descendit et se dirigea vers Mox.

- :-

Les Jerz se ressemblaient tous. Il n'était pas possible de les différencier. Aussi quand une des créatures s'approcha de Jé, celui-ci ne chercha pas à savoir qui c'était. Peu lui importait.

Klas, Gia et Ten firent face, braquant leurs polyrays. Paz, notamment, avait une sérieuse dent contre les habitants de Molkari et il s'apprêtait à tirer franchement dans le tas.

Mox s'interposa. Il étendit les bras, faisant barrage entre les Jerz et ses compagnons.

—      Pas de conneries ! intima-t-il. Ne tirez pas.

Gia grimaça, contrarié :

—      Tu es bien généreux, Jé. Nadie et moi, nous avons failli casser notre pipe à cause de ces macaques. A ta place...

—      Tu n'es pas à ma place ! coupa le commandant. Tu ne vois pas que ces trois lascars viennent pour parlementer ?

Il ne se trompait pas. L'un des êtres sphériques s'immobilisa devant Mox, à deux mètres. Il étira l'un de ses quatre tentacules tandis que ses deux congénères demeuraient un peu à l'arrière. Puis l'appendice voltigea en direction du Terrien, se posa au sommet du crâne et y maintint sa pression.

Cette palpation ne surprit pas Jé. Quand il avait ramené Mlo au COS-200, il avait subi un tel attouchement alors que le Jerz entrait en contact télépathique avec lui.

Cette fois, c'était pareil. Une sorte de fluide l'inondait, coulait en lui, procurant une certaine sensation euphorisante. Il savait que c'était une pensée et il ne s'effraya pas.

Au contraire, ce contact l'enchantait. Peut-être allait-il apprendre certaines révélations. Il éprouvait seulement quelques légers picotements au sommet du crâne.

—      Je suis Mlo.

Jé concentra sa volonté. Du coup, il ignora ses compagnons et les deux autres Jerz. Il semblait seul, tout seul.

—      Nous nous sommes déjà rencontrés.

—      Oui. Tu m'avais relâché, Mox. En conséquence, je ne te considère pas comme un ennemi. Mais tu as capturé Vlanda, tu l'as rechargé. C'est très grave.

—      Ah ! voilà pourquoi tu viens.

         —      Oui. Je conçois que vous luttiez pour retrouver votre liberté, pour franchir la Barrière. Aussi nous est-il devenu indispensable de modifier les Droffs.

—      De les modifier ? s'étonna Jé.

—      Oui. Nous allons changer leurs structures électroniques de façon à ce qu'ils ne soient plus sensibles à vos ondes électromagnétiques. Ainsi, ils resteront notre propriété et ne deviendront jamais la vôtre.

Nlo ajouta :

—      Vous espérez franchir la Barrière en vous alliant les Droffs. Or, vous n'aurez pas le temps suffisant. La modification s'effectuera d'une façon accélérée. Je tenais à vous le dire afin que vous n'ayez aucune illusion.

—      Si je comprends bien, grimaça Mox, nous luttons d'influence pour nous approprier les Droffs. Malgré ça, nous vous répétons que vous n'avez rien à craindre de nous.

— Les entités fluidiques vont toutes passer individuellement dans un modificateur d'électrons, répéta le Jerz, têtu. Nous suivons avec infiniment d'intérêt votre lutte. Nous consignons les progrès que vous effectuez. Mais notre Assemblée reste intraitable. Il convient que vous ne repartiez pas pour Ter-7.

         Jé posa une question qui lui trottait par la tête :

—      Vous avez volontairement détruit l’OZ-2I et précipité mes amis dans l'espace. Vous saviez qu'ils allaient mourir.

—      Exact, confirma Mlo. Notre but était d'étudier le comportement des deux naufragés dans leurs scaphandres. Malheureusement, Vlanda a tout compromis.

Il tint à mettre une chose au point :

—      Ah ! Vous ignorez un détail : les Droffs sont conçus de telle façon qu'ils ne peuvent pas échapper à l'attraction du soleil. En conséquence, il faut que vous renonciez à pervertir Vlanda. Je sais, Mox, que tu lui as donné de mauvais conseils. Mais même « domestiqué », Vlanda ne peut guère te servir. D'ailleurs, les autres Droffs sont au courant de sa trahison et ils vont chasser le traître de la zone extra-périphérique. C'est ce que j'avais à te dire de façon à ce qu'il n'y ait aucun malentendu entre nous. Nous luttons chacun avec nos propres armes.

Jé ricana :

—      Mes amis te tiennent en joue. Es pourraient t'abattre quand je le voudrais. Je n'ai qu'à leur faire signe.

Mlo resta impassible :

—      Ta menace ne m'impressionne pas. Encore une fois, je te répète que même si tu détruisais notre cité, les Droffs te barreraient la route. Alors il faut te convaincre et rester parmi nous. Notre but n'est pas de vous détruire mais d'empêcher l'invasion de Molkar par les Terriens. Tu sais très bien que ta parole n'est pas une garantie.

Les trois doigts de la créature sphérique cessèrent d'adhérer au crâne de Jé. L'appendice se rétracta, se résorba dans sa poche protectrice. Puis tranquillement, Mlo s'éloigna, roulant vers le véhicule sphérique.

Les trois Jerz s'engagèrent dans les alvéoles de l'engin et celui-ci repartit sans bruit. Il disparut bientôt vers le sud, filant sur une sorte de coussin d'air.

Gia hurla, furibond :

—      Nous aurions dû les massacrer !

Mox hocha la tête :

—      Non. Ça n'aurait servi à rien. Mais ils vont « modifier » les Droffs. Alors je crois qu'il est grand temps de nous dépêcher. Sinon notre espoir s'effondrera.

Ils délaissèrent les tombes de Ron Fallay et de ses compagnons puis se dirigèrent en hâte vers le COS-200. Ils mobilisaient leur dernière énergie contre les Jerz.

- :-

—      Un Droff ! hurla Klas, debout devant les appareils qui contrôlaient l'antenne parabolique.

Chez nos amis, ce fut le branle-bas de combat. Nadie Gem se précipita vers le panoramique, l'éclaira. Le nuage rouge apparut sur l'écran. Il évoluait au ras de l'océan et progressait même avec une certaine difficulté, comme s'il utilisait ses ultimes ressources énergétiques.

Peut-être avait-il trop tardé pour se faire « recharger » et maintenant il payait sa négligence...

— Ce n'est pas Vlanda, rappela Jé vérifiant un scintillomètre.

Gia haussa les épaules :

—      Tant mieux. Vlanda est déjà dans notre camp. Du moins je suppose que sa fidélité nous est acquise.

—      Les Droffs n'ont pas l'esprit tordu ! observa Jé. Ils sont totalement désintéressés car ils sont artificiels. Ils ne connaissent ni la ruse, ni le mensonge. Ils sont ce qu'ils sont, c'est-à-dire influencés par des perturbations scientifiques.

—      Eh bien ! espérons-le ! soupira Ten. Car si jamais ça flanche, nous sommes cuits et recuits. Le COS-200 ne sera qu'une informe bouillie et nous n'aurons que la ressource d'une survie de huit jours dans nos scaphandres.

Roof brossait un tableau bien sombre de la situation. Mox galvanisa l'ardeur de ses camarades et leur remonta le moral :

—      Nom d'un chien ! Nous tenons notre seule chance. Seulement il faut mettre encore un peu d'huile de coude. Vlanda ne suffit pas. Il nous faut encore « récupérer » deux ou trois Droffs...

Klas poussa une exclamation. Il abaissa vivement la manette commandant le passage de l'énergie dans l'antenne. Des torrents d'ondes électromagnétiques, plus fortes que celles des Jerz, se ruèrent dans la parabole et se concentrèrent en direction du nuage rouge.

Celui-ci fut agressé par les ondes. Il capta l'appel, sensibilisé, et délaissant son premier itinéraire, il se dirigea vers le COS-200, littéralement happé par les Terriens.

Au niveau de ses neurones électroniques, il se demanda bien ce qui arrivait, pourquoi il déviait inéluctablement de sa trajectoire. En fin de compte, il croyait que ses maîtres, les Jerz, le guidaient d'un autre point car il ne pensait pas du tout aux Terriens, ces créatures bipèdes qu'il combattait.

Les hommes s'apprêtaient donc à capturer leur second Droff. Comme pour Vlanda, ils mobilisèrent tout leur savoir, toute leur volonté, et ils triomphèrent.

Le nuage rouge fut aspiré par la tubulure et échoua dans la sphère bardée de fils. Une force colossale le paralysa.

Alors, Jé prit contact télépathiquement avec son nouveau « prisonnier ». Il braqua sa pensée :

—      Qui es-tu ?

Il attendit une minute la réponse. Il eut peur que les choses ne se passent pas comme pour Vlanda. Mais son incertitude se dissipa très vite.

Une « voix » intérieure se vrilla dans sa tête :

—      Je m'appelle Hopkir.

—      Eh bien, Hopkir, nous sommes tes nouveaux maîtres. Tu es venu sur Molkar-I pour te recharger ?

—      Oui.

—      Il te faudra passer par nos conditions. Sinon tes électrons se dissocieront lentement, en l'absence de cohésion.

Mox expliqua ce qu'il attendait de son captif. Il se fit exigeant :

—      Nos conditions sont à prendre ou à laisser. Vlanda n'a fait aucune difficulté pour nous obéir.

—      Je n'en ferai pas non plus, confirma le Droff. Nous savions que Vlanda possédait de nouveaux maîtres et nous le tenions à l'écart. Il n'était plus capable de remplir sa mission de chien de garde auprès de la Barrière. En vérité, nous l'avons expulsé de notre communauté.

Jé chancela. La crainte que tous ses efforts ne servent à rien l'effleura. Il eut un tressaillement imperceptible :

—      Quelle conséquence en résulte-t-il pour Vlanda ?

—      Oh ! comme il est votre allié, il ne peut plus nous être dès lors d'aucune utilité. Nous le rejetons donc. Les Jerz ne le prennent plus en charge et seuls vous pouvez quelque chose pour lui. Sinon il se désintégrera.

Hopkir posa une question :

—      De quel secours vous serons-nous, Vlanda et moi ?

Mox répondit avec prudence :

—      Vous franchirez la Barrière avec nous.

—      C'est impossible. Nous ne le pourrons jamais. Les Jerz nous l'ont assuré.

—      Mais avez-vous essayé ?

—      Non.

—      Alors, les Jerz mentent peut-être justement pour que vous ne vous évadiez pas.

Le Droff rappela pourquoi il avait été créé :

—      Ma mission est de vous empêcher de regagner votre monde. Peu m'importe ce qu'il y a dans l'espace interstellaire.

—      Eh bien ! il faudra que ça t'intéresse, Hopkir ! insista Jé. Il faut maintenant recharger.

Il bascula toute l'énergie du générateur dans la sphère. Celle-ci attira un véritable orage électromagnétique. D'énormes étincelles fulgurèrent. Puis quand Hopkir s'aperçut qu'il était entièrement rechargé, il en informa le Terrien. Alors, les éclairs s'apaisèrent. La boule retomba dans le silence et dans une semi-obscurité. Les câbles se refroidirent.

Puis Mox relâcha son prisonnier. Hopkir prit son essor, jaillit de la tubulure, et une fois hors du COS-200, il monta droit vers le ciel. Il disparut très rapidement aux yeux des observateurs restés sur le sol. Il fallut le recours aux instruments d'optique pour suivre sa progression vers les hautes couches de l'atmosphère.

Gia se tourna vers Jé :

—      Tu es satisfait ?

—      Oui. Nous avons deux Droffs comme alliés. Il en faudrait au moins un troisième avant que les Jerz ne les raflent tous.

—      Que veux-tu dire ?

—      Mlo n'a pas mâché ses mots. Les Jerz vont modifier la structure électronique des Droffs de façon à ce que nos ondes électromagnétiques soient inopérantes. Je ne sais pas comment ils s'y prendront, mais je leur fais confiance. Ils parviendront à leurs fins dans un délai plus ou moins long. Or, il faut absolument que nous les gagnions de vitesse.

—      Comment ça ?

—      Il faut franchir la Barrière.

Paz parut désolé. Une grimace dubitative creusa sa bouche:

—      Mais Jé, nous n'y arriverons jamais ! Les Jerz mobiliseront tous les Droffs s'il le faut.

Mox sourit, énigmatique. Il avait son idée depuis longtemps :

—      Non, je crois avoir un moyen. Je ne sais pas s'il marchera mais je le tenterai. Pour cela, il nous faut une troisième entité fluidique.

—      Pourquoi trois ? demanda Klas.

—      Parce que c'est un minimum. Je veux mettre tous les atouts dans notre jeu et il faut pouvoir riposter.

Ils guettèrent ainsi plusieurs jours un autre Droff. Quand un de ceux-ci se présenta enfin, Jé poussa un soupir de soulagement :

—      Ouf ! J'ai bien cru qu'il n'en viendrait plus un seul, que les Jerz les avaient déjà tous reconvertis.

Ils braquèrent l'antenne. C'est ainsi qu'ils capturèrent Torks. Désormais, le plan de sauvetage de Mox semblait prêt. Mais rien n'affirmait encore qu'il serait une réussite.

Tout pouvait craquer au dernier moment. Alors, nos amis le savaient, ils seraient condamnés à mourir dans l'espace.

 

CHAPITRE XI

 

Le COS-200 avait décollé de Molkar-I avec l'intention de ne plus y revenir. Jé avait dit que de toute façon il s'agissait du dernier voyage de l'espoir. Il risquait le tout pour le tout.

Il y avait donc trois solutions. Ou ils passaient sans histoire la Barrière. Mais c'était chimérique. Ou ils s'éjectaient à bord de la nef de secours. Ou, si celle-ci était détruite à son tour, il restait les scaphandres. Et, encore, si les Droffs voulaient bien qu'ils survivent huit jours !

Les chances étaient minces. Les Terriens ne s'illusionnaient pas. Mais ils soutenaient Mox à fond. Ils étaient décidés à vaincre ou à mourir. La solution n'était pas d'attendre du secours qui ne viendrait pas.

A bord, une profonde anxiété régnait. Chacun s'occupait l'esprit comme il pouvait. Ten et Nadie se rongeaient les ongles. Gia jouait de l'harmonica et Klas essayait de dormir.

Seul Jé restait impassible, figé devant ses tableaux de commandes. En fait, son angoisse ne s'extériorisait pas. Mais la peur lui mordait le ventre. Parfois, il se disait qu'il gâchait ses dernières chances de vie.

Car ils auraient pu évidemment vivre sur Molkar-I, s'organiser. Cela, jusqu'à la fin de leurs jours. Etait-ce une solution digne d'un tempérament de lutteur ?

Rien que l'idée de finir leur existence ici, loin de leur monde originel, sans jamais plus de contact avec d'autres hommes, donnait la nausée à nos amis. Ils n'auraient pu supporter une telle claustration. Ils seraient devenus fous.

Aussi, à plus de cent mille kilomètres à l'heure, le COS-200 fonçait vers la zone extra-périphérique. Son commandant n'avait pas choisi un endroit au hasard. Il allait à la rencontre de Vlanda.

Jé désignait un point scintillant sur un scope :

—      La radioactivité de Vlanda...

Gia arrêta de jouer de l'harmonica. Il soupira :

—      Eh bien ! tu as eu du nez le jour où tu l'as saupoudré de substance radioactive ! Mais tu ne nous as encore pas dit comment tu comptais procéder.

—      Vous verrez bien, grimaça Mox. Les Droffs émettent des particules d'antimatière, selon les besoins. Nous allons utiliser ces moyens.

Vlanda n'était pas seul. Il y avait Hopkir et Torks avec lui. Depuis qu'ils avaient été rechargés par les Terriens, les trois entités fluidiques ne se quittaient pratiquement plus. D'ailleurs, ils avaient été chassés de leur Société et leurs congénères les repoussaient comme des parias.

Ils repérèrent le vaisseau des hommes et se dirigèrent vers lui. Bientôt, ils le côtoyèrent.

Alors Jé entra en contact télépathique avec son premier allié. Il lui imposa sa pensée :

—      Nous approchons de la zone dangereuse. D'autres Droffs vont arriver.

—      C'est exact. Ils n'ont plus confiance en nous. Vous ne traverserez pas la Barrière.

—      Il le faut, insista Jé.

—      Comment ?

—      Vous allez faire écran autour du COS-200 de façon à empêcher l'agression.

—      Mais les autres attaqueront quand même !

Mox dévoila ses batteries :

—      Alors, à ce moment-là, vous lutterez contre vos frères en émettant des antiélectrons.

L'étonnement de Vlanda grandit :

         —      Tu veux qu'on se batte à mort ?

—      Oui. Le premier qui attaquera gagnera. Or, vos congénères ignorent nos projets. Vous serez donc les plus forts. Vous vaincrez.

—      Mais nous ne pourrons pas vous accompagner longtemps puisque nous ne pouvons pas échapper à l'attraction du soleil.

—      C'est les Jerz qui le disent. En fait, vous traversez bien l'atmosphère de Molkar1. Vous triomphez de la pesanteur. Vous réussirez.-

—      Bien, acquiesça le nuage rouge avec soumission. Tes ordres seront exécutés. Je n'ai pas à les discuter.

Le vaisseau fut bientôt enveloppé d'un brouillard. Les trois Droffs avaient pris position et si ce n'était pas des alliés, les Terriens auraient déjà ressenti les effets destructeurs des molécules d'antimatière.

Le panoramique ne retransmettait qu'une image rougeâtre, floue. Nadie s'épouvanta :

—      Ils vont nous digérer !

—      Non ! affirma Jé, convaincu. Pas eux. Pas Vlanda, ni Hopkir, ni Torks. Au contraire, ils sont là pour nous protéger. Nous profiterons du combat fratricide pour fuir.

Là-bas, dans l'espace, d'autres Droffs approchaient monstrueusement. Il restait à savoir si les plans de Mox se dérouleraient comme prévu.

- :-

De formidables lueurs fulguraient dans l'espace. Elles étaient rouges, violettes, mauves, orangées. Elles ressemblaient à des éclairs silencieux. Elles se produisaient au sein même des entités fluidiques, au niveau des électrons.

Le COS-200 franchissait la Barrière. Il s'arrachait à l'attraction du système solaire de Molkar mais il n'avait pas encore gagné la partie. Rien n'affirmait qu'il triompherait.

A plus de cent mille kilomètres à l'heure, une lutte âpre, sans pitié, se déroulait dans le vide. Toujours collés au vaisseau, Vlanda, Hopkir et Torks se défendaient avec acharnement. Ils répliquaient à des molécules d'antimatière par d'autres molécules d'antimatière.

Les Droffs s'usaient, d'un côté comme de l'autre. Des parties de leurs corps tentaculaires se désintégraient. Mais comme les alliés des hommes avaient pris l'initiative, ils possédaient un léger avantage.

Ils faisaient tout pour que leurs congénères n'atteignent pas le COS-200. Ils se sacrifiaient. Déjà, Torks avait payé durement les épreuves et il était amputé d'une partie de ses électrons.

         Jé braqua sa pensée :

—      Tu m'entends, Vlanda ?

—      Oui. Je suis toujours là. Torks est bientôt hors de combat.

—      Et toi ?

— Je reste en réserve. Nos congénères ont été surpris par notre attaque. Ils ne s'y attendaient pas.

—      Votre cerveau est unique ou multiple ?

—      Il est diffus à travers nos électrons. Nous restons ainsi conscients jusqu'au bout. Notre cerveau meurt avec nos derniers atomes.

—      Dis-moi la vérité, Vlanda... Nous passerons ?

—      Sans doute. Mais je constate une chose aussi, étonnante : nous échappons sans histoire à l'attraction. La lutte se déplace. Elle se transportera dans le vide interstellaire. Les Droffs ne vous lâcheront pas. Je crois même qu'ils ont demandé des renforts.

Mox s'inquiéta :

—      D'autres Droffs vont arriver ?

—      Je le pense.

—      Alors, Torks, Hopkir et toi, vous succomberez sous le nombre.

—      J'en ai peur.

Jé relâcha le contact télépathique. Il se détendit. Pour le moment, l'astronef n'avait encore pris aucun mauvais coup mais il n'était pas à l'abri. L'équipage se tenait prêt à sauter dans la nef de secours. Si cette éventualité survenait, elle signerait l'arrêt de mort des Terriens, à plus ou moins brève échéance.

Dans la cabine axiale, l'atmosphère restait au pessimisme. Klas démontrait l'inanité de leurs efforts :

—      Ils seront bientôt dix, cent contre nous. Vlanda, Hopkir et Torks ne tiendront pas. Nadie se rongeait les ongles d'anxiété. Son cœur battait très fort dans sa poitrine. Elle observait le panoramique qui s'éclairait de fantastiques lueurs, comme si le vaisseau traversait un orage électromagnétique.

—      Les Droffs nous suivent toujours. Peu à peu, ils s'éloignent de Molkar. Nous les attirons dans l'espace interstellaire. N'est-ce pas effroyable ?

Mox haussa les épaules. Il vérifiait divers appareils.

—      Pourquoi ?

—      Parce que les entités fluidiques traverseront peut-être le vide et libérés de la tutelle des Jerz, ils commenceront une nouvelle vie. Or, tu sais quels dangers ils représentent. S'ils arrivaient sur Ter-7...

—      A la vitesse de la lumière, ils mettraient des années. Or, ils seraient « déchargés » avant.

         Gia eut une lueur d'espoir dans les yeux :

—      Tu es sûr ?

—      Ils sont obligés de se faire recharger en énergie périodiquement et assez fréquemment. C'est comme ça que les Jerz les contrôlent. En tout cas, Mlo mentait quand il affirmait que les Droffs n'échapperaient pas à l'attraction du soleil. Il le savait ou il l'ignorait.

Roof restait déprimé, le moral très bas :

—      Nous ferions bien d'utiliser la nef de secours avant qu'il ne soit trop tard...

—      Pas de ça, surtout ! gronda Mox. Nous ne quitterons le COS-200 qu'à la dernière extrémité.

Il observa ses compagnons avachis dans leurs fauteuils, sans réaction :

—      Nom d'un chien, secouez-vous ! La partie n'est pas perdue. Nous jouons gros mais nos chances augmentent à mesure que les minutes passent. Nous sortons de la zone d'attraction...

Nadie désigna l'écran et soupira :

—      Les Droffs aussi !

A ce moment, Vlanda prit contact télépathiquement avec Jé. La situation s'aggravait :

—      Torks a perdu ses derniers électrons et il est hors de combat. Hopkir résiste encore, mais fléchit. Il arrive des Droffs de partout, attirés par le vaisseau. Je succomberai moi aussi et vous resterez seuls.

Mox demeura très calme :

—      Quoi qu'il arrive, tu auras fait ton devoir. Tu ne pourras sans doute jamais venir sur Ter-7 avec nous.

—      Si je ne le peux pas, vous ne le pourrez pas non plus...

Le contact se perdit un moment puis reprit. Les nouvelles n'étaient pas meilleures. Vlanda expliqua :

—      Je suis attaqué de toutes parts par mes congénères. Des charges d'antimatière me dissèquent. Hopkir succombe. Dans dix minutes, je serai moi-même hors de combat. Je suis navré pour vous, Mox. J'aurais aimé que vous triomphiez.

Gia s'avança vers l'armoire à vêtements, tira une combinaison spatiale. Il poussa un énorme soupir :

—      Eh bien ! c'est le moment de décamper!

Jé était rivé devant des appareils. Il se rua sur Paz et le bouscula. Etait-il devenu fou ?

—      Nos chances restent intactes. Grouillons-nous ! Nous n'avons plus une seconde à perdre !

Il donna des ordres au cerveau électronique du bord. Dans sa tête, les dernières pensées de Vlanda se vrillaient :

—      Adieu, Mox... Après moi, ils digéreront le COS-200... Déjà, je suis diminué. Ma force psychique baisse. Je ne sais plus si ma pensée te parvient. L'antimatière me dévore... Pourtant, j'ai mis plusieurs adversaires hors de combat... Adieu, Mox, adieu...

Jé fit un effort intense pour capter le fluide télépathique. Il n'y parvint plus. Alors, il immobilisa le vaisseau dans l'espace, s'apprêtant à tirer ses dernières cartouches.

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L'ordinateur de bord ordonna de sa voix impersonnelle, sans inquiétude, car la présence des Droffs le laissait indifférent:

—      Gagnez vos caissons d'hibernation. Heure H moins six minutes...

Klas resta bouche bée :

—      Que manigancez-vous, Mox ? Un départ fulgurant ?

—      Oui, approuva le commandant. Et je vous conseille de vous dépêcher avant que les créatures électroniques ne nous dévorent. Notre arrêt brutal les a surprises et elles sont en train de se poser des questions. Il faut mettre à profit leur hésitation. Car n'en doutez pas. Leur mission est de nous digérer.

—      Brrr ! trembla Gia en se glissant le premier dans son caisson. Ces machins-là me donnent la chair de poule. Je me demande encore si je reverrai Ter-7 et ma pépée que j'ai laissée là-bas, éplorée...

A leur tour, Ten, Nadie et Klas prirent place dans un container. Jé boucla les couvercles. Avant de s'hiberner lui-même, il dit à l'ordinateur :

—      Nous te confions nos vies. Tâche d'en faire bon usage.

—      Mais, commandant, remarqua poliment le robot, j'ai été construit pour ça.

Il ajouta aussitôt car le temps pressait :

—      Heure H moins trois minutes.

Mox disparut dans son caisson. La température baissa très vite à l'intérieur du cylindre d'apesanteur. Les hommes furent congelés. Ils n'avaient plus aucun réflexe, comme s'ils étaient morts. A bord, il n'y avait plus qu'un symbole de vie : le cerveau électronique.

Il calculait tout au centième de seconde près. Il s'occupait de tous les problèmes. C'était lui qui veillait sur le vaisseau pendant la traversée de la quatrième dimension.

D'un seul coup, le COS-200 disparaîtrait dans l'espace, comme dématérialisé. Il franchirait presque instantanément les vingt-deux années-lumière séparant Molkar de Ter-7.

Un silence absolu régnait dans la cabine axiale. Au-dehors les Droffs évoluaient autour de l'engin et décidaient enfin d'attaquer. Les champs de force électromagnétiques de l'astronef seraient d'abord réduits en miettes. Puis les entités fluidiques dévoreraient le métal. Elles avaient convenu de laisser mourir les hommes dans leurs scaphandres puisque la première expérience tentée par les Jerz avait échoué, à cause de Vlanda.

Celui-ci n'était plus là. Ni Hopkir, ni Torks. Il n'y avait personne pour défendre les Terriens.

Mais soudain, quelque chose se passa, très vite. Une lueur fulgurante déchira le cosmos, enveloppa le COS-200. Celui-ci parut se dissoudre et avant que les Droffs fussent revenus de leur surprise, l'engin avait complètement disparu.

Par quel mystère ? Par quel prodige les hommes s'échappaient-ils ? Etaient-ils décidément plus intelligents que les Jerz ? Sans doute puisqu'ils triomphaient de la Barrière vivante.

Les Droffs ignoraient tout de la quatrième dimension. Ils ignoraient surtout qu'il fallait se trouver dans l'espace interstellaire, hors d'une zone d'attraction solaire, pour utiliser ce mode de voyage.

Déconcertés devant la fuite de leurs proies, ils se regroupèrent et décidèrent de revenir vers la zone extra-périphérique. Ils comprenaient que leurs maîtres sous-estimaient leurs possibilités.

         Mais ils savaient que le cosmos était immense, que, s'ils s'aventuraient loin de Molkar, ils se désintégreraient, faute d'énergie. Alors ils n'avaient plus qu'à se soumettre à nouveau aux Jerz.

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Le vaisseau de Mox émergea du néant. Il brilla intensément puis sa luminosité décrut. A mesure, il devenait elliptique et perdait sa forme ronde. Il devint un astronef immobile dans l'espace.

Les caissons d'hibernation s'ouvrirent. Les hommes se décongelèrent et retrouvèrent leur rythme de vie. Quand elle eut repris tous ses esprits, Nadie Gem courut au panoramique et l'éclaira :

Elle poussa un énorme soupir de soulagement devant l'écran vide :

—      Ouf ! Ils ne sont plus là.

—      Les Droffs ? sourit Jé. Evidemment. Nous les avons littéralement laissés sur place. Il était temps. Encore quelques secondes et nous étions anéantis.

Gia écarquilla les yeux. Il désigna un point brillant dans le ciel :

—      Ça ne serait pas Ter-7 ?

—      Si, c'est Ter-7, confirma Mox. Ou plutôt, son soleil. Nous avons retrouvé notre monde.

         Klas fit un lourd bilan :

—      Trois vaisseaux disparus, et presque trois équipages en entier. L'expédition sur Molkar a coûté cher, très cher. Ça m'étonnerait qu'elle se renouvelle.

Ten Roof hocha la tête :

—      Pourquoi ? Vous renoncez donc à la conquête de Molkar ?

—      Je ramène assez d'informations et d'arguments, expliqua le capitaine, pour que la direction de l'Exploration raye Molkar de ses ambitions. Notre but n'est pas de faire la guerre à des peuples qui ne veulent pas de nous. Or, manifestement, les Jerz ne veulent pas des hommes. En conséquence, nous chercherons ailleurs. Les Droffs resteront toujours une menace pour nous. Le risque n'en vaut pas la chandelle.

Jé approuva :

—      D'autant plus que les Jerz inventeront autre chose pour nous barrer la route, puisque les Droffs ne nous ont pas arrêtés. A moins qu'ils ne modifient les entités fluidiques. Bref, c'est une région dangereuse qui doit être signalée en rouge...

Il se tourna vers Paz :

—      Gia... Envoie un message au colonel Zolos. Le malheureux doit nous croire morts Il est temps de le rassurer.

Paz acquiesça. Il se dirigea vers ses appareils de télécommunication et manipula des boutons :

—      Ici le COS-200. J'appelle le Centre de Secours Spatial...

Il accrocha une onde. Une voix jaillit. Elle semblait proche:

—      Le COS-200 ? s'étonna-t-elle. Nous vous avions portés disparus et le colonel s'apprêtait à envoyer une autre expédition.

—      Oh non ! ne faites pas ça ! clama Gia en grimaçant. Vous vous feriez bouffer par les Droffs. Nous revenons de l'Enfer...

Lentement, l'astronef augmentait sa vitesse. Il fonçait vers Ter-7.

FIN